Assieds-toi, tu veux du lait ? – Portrait d’une famille à Cuba
PubliÉ le Catégories : Cuba. Tags : famille, rencontre.
Il est 13h, nous descendons de notre bus Viazul après de longues heures de route depuis Viñales, le soleil est plombant. Nous ne sommes que 3 à descendre à cet arrêt. Jagüey Grande n’est pas une destination touristique à Cuba. Mais nous ne venons pas là pour visiter. Nous sommes là pour rencontrer la famille d’Osmani.
Osmani, c’est un couchsurfer que nous avions rencontré l’année dernière lors de notre grand week-end de randonnée en Andorre. Osmani est cubain, il a laissé sa famille ici et est parti chercher du travail en Andorre. Il n’est pas un grand fan des Pyrénnées car il fait trop froid là bas. Oui, c’est sûr ! On lui avait envoyé un mail avant d’arriver sur l’île pour avoir quelques conseils sur les choses à voir, à faire. On lui avait expliqué notre projet.
« – J’ai appelé ma mère, vous pourrez aller dans sa ville quelques jours pour voir le quotidien d’une famille cubaine. »
On s’attendait à quelques bons plans pour notre voyage et on se retrouve invité dans une famille. Quelle chance ! Pas pour dormir, c’est interdit de loger chez l’habitant à Cuba, mais au moins pour partager leur vie du matin au soir.
S’il y a une émission télé à laquelle Sandrine rêve de participer c’est Rendez-vous en terre inconnue, et il faut dire que ce jour en descendant du bus au bord de l’autoroute, non loin de cette ville inconnue, on s’est senti comme les invités de Frédéric Lopez.
A cet instant précis, sur la planète, il y a quelqu’un qui vous attend quelque part !
Ce quelqu’un c’est Juan Carlos, le frère d’Osmani, qui nous attend sur le parking. Il nous regarde, on le regarde, il ressemble tellement à son frère, on ne pourrait pas se méprendre, on échange un sourire, quelques mots en espagnol balbutiant. Il nous emmène dans son bicy-taxi, car c’est son métier. Et c’est ainsi que nous entrons dans la ville, à la vitesse de ses coups de pédales.
Les bâtiments sont gris, délabrés, ici aussi on a l’impression que le temps de la construction s’est arrêté il y a 50 ans et que depuis tout tombe en désuétude, petit à petit. Il y a beaucoup de monde dehors, assis sur les porches des maisons, qui discute, qui regarde. Il y a beaucoup de monde qui marche, qui travaille. Personne ne se jette sur nous pour nous proposer quelque chose. On quitte le monde touristique, on arrive à Cuba, le vrai Cuba, celui des cubains.
Ce quelqu’un c’est aussi Leydis, la maman d’Osmani.
« Son los amigos de Osmani, mi casa es su casa, aqui es su familia », c’était ses premiers mots ou presque quand nous sommes arrivés à sa maison.
Ici vivent Leydis, Florès, son mari, Ana, sa mère, Adrian, son fils et Yanexy, sa belle-fille.
On est un peu gênés, on arrive ainsi dans cette famille, qui nous ouvre ses portes avec tant de gentillesse. On parle à peine espagnol, eux rien d’autre. On a envie de dire des choses mais on ne sait pas comment.
« Assieds-toi », Leydis voudrait qu’on soit à l’aise, qu’on ne se fatigue pas à rester debout. Elle nous propose à manger. Eux ont déjà déjeuné. On est encore plus gênés de manger comme ça tous seuls dans la cuisine.
« Tu veux du lait ? ». Merci c’est gentil, on n’a plus faim, et puis comment dire que Benoît n’aime pas trop le lait. On ne veut pas vexer non plus.
« hohx eedjdfd demfuisc ? » La grand-mère tente de parler avec nous, mais on ne comprend absolument pas ce qu’elle veut nous dire. On lui demande de répéter, on n’a toujours pas compris, on sourit, elle abandonne.
Les premières 24h se passent ainsi, on se découvre, on se sourit, on essaye de se comprendre. Ce n’est pas facile, mais cette famille est si gentille. « Assieds-toi », « tu veux du lait ? », « mange »…
Le matin très tôt, les deux hommes partent travailler dans les champs et les trois femmes restent à la maison. La journée est rythmée par le travail de ces trois générations de femmes – lessive, cuisine, courses, ménage, … – et les novelas.
Le matin, quand il ne fait pas encore trop chaud, est plutôt dédié aux tâches ménagères, dont la majorité se passent dehors. La cuisine est en effet dans la cour et le double évier en pierre situé au milieu de cette cour est le centre névralgique de la maison. Enfin, quand il y a de l’eau, car tous les jours ou presque, il y a des coupures d’eau dans le quartier.
Quand le soleil se fait trop chaud, les femmes se retrouvent dans les rocking-chairs devant la télévision et le ventilateur pour suivre les derniers épisodes des novelas qui abondent en fin de journée. Enfin, quand il y a du courant, car les coupures de courant sont aussi fréquentes que les coupures d’eau, mais rarement en même temps.
Et nous nous sommes là, un peu gauches, on ne sait pas trop comment les aider, comment ne pas gêner. « Assieds-toi ». Alors on s’assoit, puis on se relève, on va dans la cour, dans le salon, on se lance dans des discussions qui finissent en sourire.
Le soir, les hommes rentrent, on mange, tout le monde se retrouve à nouveau devant la télévision. La belle-fille a un petit commerce de téléphonie sur internet. Alors c’est souvent le défilé d’inconnus à la maison, qui viennent passer un coup de fil à leur famille à l’étranger. Ils attendent leur tour, assis dans le salon, avec nous autres.
« Tu veux du lait ? » Non, merci, c’est gentil.
On est toujours un peu mal à l’aise. On pense qu’ils nous demandent si on aime telle ou telle chose, alors on dit oui, on n’est pas difficile. Et du coup, ils nous en ramènent. On comprendra plus tard qu’ils nous demandaient en fait si on en voulait. Alors on mange beaucoup trop, trop souvent.
On ne comprend toujours pas la grand-mère, mais on comprend bien par contre quand elle dit à sa fille, l’air désabusée, qu’on ne la comprend pas… On a aussi beaucoup de mal avec le fils qui parle tellement vite. Et le père qui mange toutes les consonnes et utilise une gestuelle aussi claire que ses paroles…
On est aussi allé faire un tour à la playa Giron, dans la célèbre Baie des Cochons, à deux heures de bus local de la ville. La plage des cocotiers est assez jolie, beaucoup plus que le soi-disant « grand hôtel » du coin, donc la majorité des bungalows sont abandonnés et délabrés. Ce qui donne une impression post-tsunami, ou plutôt post-débarquement, dans ce lieu chargé d’histoire. Et ce d’autant plus qu’il s’est mis à pleuvoir assez violemment !
Et puis d’un coup, le matin du troisième jour, tout s’est décanté.
Tel Champollion avec les hiéroglyphes, on a trouvé la pierre de Rosette de la grand-mère !
Quand on vient de se laver les mains et qu’elle nous parle, c’est pour nous proposer de nous essuyer les mains dans la serviette accrochée dans la cuisine. Et cette simple phrase a tout changé. Elle était ravie, nous aussi. On s’est aussi habitué aux accents de chacun petit à petit et on a pu commencer à avoir des discussions intéressantes.
« Tu veux du lait ? » Oui, avec plaisir. C’est que le père est fan de lait, alors il y en a toujours une pleine marmite sur la cuisinière. Et on nous en propose à tout moment de la journée. C’est vrai qu’il était bon ce lait. Du vrai lait de vache, entier, non transformé, un délice.
On s’intègre petit à petit dans leur vie, on aide aux tâches ménagères, à faire du jus de goyave, des petites choses. Et puis on regarde les novelas.
On a aussi fait notre lessive avec la machine à laver locale. En fait c’est une machine qui mélange juste l’eau froide, la lessive et les habits. Très fort. On pourrait l’appeler une broyeuse à linge. Et ensuite on fini de frotter si besoin et on rince dans les éviers en pierre. Comme au lavoir.
Un nouveau matin se lève, et ce n’est pas un jour comme les autres. C’est l’effervescence !
Aujourd’hui on va faire un asado cerdo ! Un cochon grillé ! Et ici c’est un plat de fête, qu’on mange à Noël. Alors tout le monde est excité et nous encore plus. On s’est levé à 7h du matin pour aller avec les hommes tuer le cochon qu’ils avaient acheté vivant la veille ! Mais ils sont partis sans nous et on trépigne de les rejoindre.
« Tu es sûre que tu ne veux pas du lait d’abord ? »
A 10h enfin on nous emmène les rejoindre et ouf le cochon est toujours vivant !
Et il le restera pendant encore au moins 10 minutes après le premier coup de couteau dans le cœur censé l’achever sans (trop) de douleur ! Il paraîtrait que c’était un cochon sans cœur…
Benoît participe au pelage de l’animal. Il est vidé, embroché et nous partons le mettre sur le barbecue.
Barbecue à l’ancienne : deux piquets en bois plantés dans le sol, sur lesquels on accroche deux cordes qui supporteront la broche et lui permettront de tourner.
Et on s’est mis à tourner, tourner, tourner… A la main… Pendant 5 heures…
On se relaie au poste de tourneur, d’autres gens de la famille sont venus. On discute, on mange, on s’amuse avec Rachel, la fille de Juan Carlos qui aime donner des fessées à Sandrine en criant « Candela ! » – on ne saura jamais pourquoi. Et petit à petit la braise roussit le cochon.
Il est débité sur place et ramené à la maison dans des seaux. Leydis avait invité tout plein de monde, certains sont déjà là, d’autres non. Mais ce n’est pas grave, on commence à manger, ou plutôt tout le monde se jette sur la nourriture. « Mange, mange, prends en encore« , on n’a pas encore fini notre assiette qu’on nous en remet déjà, du coup on avale trop vite. Il est pourtant délicieux ce cochon, surtout quand on a un morceau avec un peu de peau bien grillée, une couche de gras bien fondante et un peu de chaire bien tendre. 8 minutes plus tard, le premier seau de viande a disparu, on est repu, on aurait aimé prendre notre temps pour le déguster, mais puisque c’est ainsi qu’ils mangent…
En tout cas l’ambiance est vraiment joyeuse, on arrive maintenant à comprendre tout le monde à peu près et à dire ce qu’on a envie de dire avec notre petit vocabulaire. On arrive à parler d’éducation, de santé, de mode de vie, de voyage, de la carte de ravitaillement, de plein de choses.
Et puis nous voici déjà samedi, c’est l’heure de repartir. On est assommé, c’est finalement passé beaucoup trop vite, on commençait vraiment à avoir créé quelque chose avec ces gens, avec cette famille, notre famille à Cuba.
On était bien ici, on a conscience d’avoir vécu des moments privilégiés avec ces gens modestes qui nous ont donné tant.
On se sert fort dans les bras, on se souhaite plein de belles choses, la grand-mère est émue, nous aussi. Juan-Carlos nous ramène au bus avec son bicy-taxi. Nos premières larmes du voyage coulent au rythme de ses coups de pédales.
Finalement nous aussi on l’aura vécu notre « Rendez-vous en terre inconnue » !
1 octobre 2014 à 08:29
Génial !
Ça illustre vraiment bien voyage partage et cochonnaille ! Et langage aussi :)
8 octobre 2014 à 19:40
Oui c’était top ! On a adoré cette rencontre, la vie dans cette famille, et ce cochon grillé en point d’orgue. Quand on rentrera, on pourra acheter un cochon à la ferme Vieren et le partager tous ensemble ?
1 octobre 2014 à 19:26
Quelle Aventure humaine :GENIAL!!!!!!,
8 octobre 2014 à 19:42
Super aventure en effet ! C’est incroyable tout ce que l’on a reçu et appris au sein de cette famille. Bien plus que ce qu’on pouvait imaginer…