Descendre ou ne pas descendre dans la mine à Potosi ?
PubliÉ le Catégories : Bolivie. Tags : éthique, tourisme.
Le problème majeur de Potosi, c’est le manque d’emploi. Ici pas d’industries qui proposent du boulot. Alors pour beaucoup de jeunes dont les parents ne peuvent pas financer les études ou qui doivent déjà assumer les responsabilités d’une famille, une seule solution : la mine !
Car là il y a du travail !
Le Cerro Rico – la riche montagne – fut une des plus grandes mines d’argent de Bolivie et même du monde. On y trouve aussi du zinc, du plomb et de l’étain.
Mais depuis la fermeture des mines d’état dans les années 90, il n’y a plus de travail salarié. Les mineurs se sont alors regroupés en coopératives – 36 ! – et se sont partagés la montagne.
Mais cette montagne, si riche autrefois, a été intensivement exploitée par les colons espagnols dès le 16ème siècle, et aujourd’hui, tel un bon emmental, elle a plus de trous que de fromage !
Comprenez par là que l’âge d’or de cette mine est révolue depuis longtemps et que c’est très péniblement que les mineurs arrivent à extraire suffisamment de minerais pour vivre.
Ici on est loin de l’idée de la coopérative qui permet de servir au mieux les intérêts des participants. Ici on s’est associé pour survivre. Alors pour l’amélioration des conditions de travail, il n’y a pas de budget, pas d’investisseur. Les mineurs se débrouillent avec ce qu’ils peuvent, en essayant de maintenir un niveau minimum de sécurité sans ponctionner sur leur déjà faible revenu. Et pour le reste ils s’en remettent à Dieu. Et à l’alcool.
Alors quand on arrive à Potosi, l’humeur légère, quelques heures après avoir bien ri au spectacle de catch de Cholitas, et que vient la question de la visite de la mine, qui est l’une des principales « attractions » touristiques de la ville, ça fait réfléchir.
Parce que descendre dans la mine, c’est la possibilité de découvrir cet univers extrême, de toucher du doigt un pouième des conditions de vie de ces travailleurs, d’essayer de comprendre, d’apprendre un peu plus sur ces vies si loin des nôtres.
Mais descendre dans une mine en activité, n’est-ce pas aussi faire du « tourisme de la misère », quelques heures de sensations fortes dans un monde où des gens perdent leur vie pour un salaire de misère ?
La question mérite réflexion.
Finalement on a décidé de descendre. Mais pas n’importe comment. On voulait une agence qui privilégiait les mineurs au voyeurisme, la simplicité au show. On est parti avec Greengo Tours, et sur ce point là on n’a pas été déçu.
A chacun ses valeurs et ses convictions, pour notre part ce qui était important, une fois cette décision prise, c’était d’aborder cette visite avec humilité et respect pour les mineurs que nous allions croiser.
Et c’est ainsi que nous sommes entrés dans la mine. Nous étions 6. Julio, notre guide, un ancien mineur, nous avait prévenus : « Ici, on n’est pas là pour rigoler. Les mineurs travaillent dur, il ne faut pas les déranger. Pendant ces quelques heures, je veux que vous soyez des mineurs dans la mine. Alors d’abord je n’ai jamais vu un mineur qui flâne dans les galeries, donc quand on marche, on marche vite ! Et si je vous dis « Dépêchez-vous » alors il faut courir, ça veut dire que des mineurs arrivent avec un chariot, et il ne faut pas qu’ils aient à s’arrêter à cause de nous. »
Direct, ça met dans l’ambiance. Je peux même dire, ça fait flipper ! Parce que je ne suis pas claustrophobe à ma connaissance, mais être dans un tunnel pas très large, pas très haut, sous une montagne, à 4700m d’altitude, et devoir courir, je ne savais pas trop comment j’allais réagir !
Dès les premières secondes, le rythme est donné. Julio marche très vite ! Derrière je rame. Il faut se pencher, le plafond est bas. Ma petite loupiote n’éclaire pas trop mal, mais mon casque me tombe sur les yeux. D’un main je dois le tenir, de l’autre j’essaie de m’équilibrer sur le mur. Je suis dans une position bizarre : penchée pour ne pas toucher le plafond, mais la tête levée pour bien voir ce qu’il y a au dessus. Parce que Julio nous l’a répété plusieurs fois : « Ne regardez pas par terre, le danger viendra uniquement d’en haut« . Et pourtant on se cogne tous, plusieurs fois. Le tunnel peut changer de hauteur d’un seul coup, parfois des pierres qui dépassent, des étais ici et là pour soutenir la roche. Et puis il y a ces gros tuyaux en plastique au dessus de nous qui conduisent de l’air comprimé dans un bruit strident plus ou moins fort. Ce n’est pas pour fournir plus d’oxygène au fond de la mine « on n’a pas les moyens pour ça« , mais seulement pour alimenter les perceuses pneumatiques. En tout cas c’est oppressant.
Mon cœur bat la chamade. Suis-je la seule à manquer d’air ? « Dépêchez-vous » lance Julio. Mince un chariot ! Je ne veux pas gêner ! Un chariot plein pèse plus d’une tonne. Ils sont seulement deux à le pousser sur des rails plus ou moins bien raccordés. Le freiner est un effort énorme, le relancer aussi. Je ne veux pas leur rajouter cette peine en plus. Alors dans ces cas là, on la trouve quelque part cette énergie qu’on ne pensait pas avoir et on court, courbé, jusqu’à trouver un petit renfoncement qui laissera passer le chariot à côté de son ventre bien rentré.
Julio s’arrête dans un espace où on peut tous tenir. On s’assoit. Je respire si fort. Autour de moi les autres ont la même tête, les yeux écarquillés, la respiration haletante. Ca fait 5 minutes qu’on est entré en enfer. On y restera 3 heures, mais ça on ne le sait pas encore. Ce qu’on a bien compris c’est qu’on n’est pas en promenade, la mine ça se mérite et Julio ne nous ménagera pas. Et c’est tant mieux !
Il nous raconte les coopératives. Les mineurs travaillent par équipes d’une dizaine de personne, tout au plus. Chaque équipe travaille dans un boyau de la mine et est responsable d’en maintenir l’accès et la sécurité. Dans l’équipe, il y a ceux qui creusent, ceux qui mettent les gravats dans les chariots, ceux qui sortent les chariots, ça tourne plus ou moins. Mais c’est toujours aux petits nouveaux d’aller chercher à boire quand il y a besoin. C’est la règle, c’est le respect des anciens, de ceux qui ont déjà beaucoup peiné. Ici il n’y a pas d’horaire de travail, on gagne à la hauteur de ce que l’on extrait. Mais on ne sait jamais si on va tomber ou non sur un bon filon, voire même sur un filon. Alors dans les mauvaises périodes on travaille sans fin. De toute façon il n’y a pas d’autre travail à Potosi. Les mineurs se sont résignés. La montagne s’épuise, qu’à cela ne tienne, ils creuseront plus loin. Mais ils espèrent secrètement que leurs fils ne deviendront pas mineurs.
« On y va ! » Julio est reparti d’un coup, le temps d’intégrer sa phrase on a déjà 30m de retard. Il file dans les galeries. On quitte la principale et on s’enfonce dans les ramifications. J’essaie de dessiner un plan dans ma tête, à droite, à gauche, à gauche, non à droite. Je ne sais plus, je dois avancer, vite. On s’enfonce plus profond, la chaleur monte. On est à plus de 30°, il parait que cela dépasse les 40° ailleurs. C’est encore plus dur. Mon dos crie d’être dans cette position bizarre. Il y a aussi plus de poussière, cela devient de plus en plus dur de respirer. On croise d’autres mineurs, ils sortent de nulle part, ils avancent vite eux aussi, ils vont un peu plus loin, quelque part.
Je prend le rythme, je sais qu’au bout d’un moment on va s’arrêter et écouter une nouvelle tranche de vie de la mine en reprenant notre souffle.
Il nous raconte les galeries. Plus de 80km sous cette montagne. Mais dans chaque mine il n’y a qu’une entrée qui est aussi l’unique sortie. Et même si parfois les galeries se rejoignent avec celles de la mine voisine, il est interdit de passer d’une coopérative à l’autre. C’est la règle, chacun chez soi et la montagne pour tous.
Il nous raconte que cette mine à 7 étages, la plus grande en a 14 ! Qu’avant les étages étaient séparés de trente mètres, maintenant on en faisait tous les dix mètres. Il faut creuser toujours plus pour espérer trouver un filon, au risque de voir la montagne s’effondrer. Et puis c’est aussi la course entre les coopératives. Parfois deux mineurs de coopératives voisines tombent sur le même filon. Alors c’est l’affrontement. Mais ici on ne se bat pas à la main, mais à la dynamite ! Plus exactement on lance un petit bout de dynamite du côté adverse, pas pour les blesser, juste pour faire de la poussière. Et c’est à celui qui résistera le mieux à l’asphyxie. Et pas question de rentrer chez soi la nuit et de laisser le filon sans surveillance. Les mineurs de la coopérative se relaient. Ils font les 3/8 au fond de la mine. Pendant ce temps là, ils ne creusent plus, mais c’est leur gagne-pain du mois suivant qu’ils protègent.
« On y va ! ». Nouvelle marche folle. On croise un groupe de mineurs. Tous connaissent Julio et sont étonnés de le voir si loin dans la mine. Nous avons fait un kilomètre dans les profondeurs de l’antre. Ils sont en « pause ». Ce matin ils ont fait exploser de la dynamite pour percer la roche et maintenant dans leur boyau il y a trop de poussière, alors ils attendent que cela se dissipe pour reprendre le travail. Ils n’ont pas de masque, leur équipement est sommaire, comme le notre : des bottes en caoutchouc et un casque avec une lampe frontale alimentée par une grosse pile attachée à une ceinture de cuir.
Ils apprécient qu’on leur donne une bouteille de soda. Car dans la mine on ne mange pas. Et sortir déjeuner, c’est ne plus travailler, donc un manque à gagner. Alors une dose de sucre est toujours la bienvenue en complément des feuilles de coca qu’ils mâchent constamment pour tenir. Pour survivre, un peu plus longtemps. Pour ceux qui passent leur vie à la mine, l’espérance de vie est de 45 ans. La plupart développeront une silicose due à toute cette poussière qu’ils inhalent. Mais il leur faut nourrir leur famille. Et Julio nous répète qu’à Potosi il n’y a pas d’autre issue que la mine pour ceux qui n’ont pas de qualification. Et d’après lui, Evo Morales a laissé tomber cette ville, au trop faible électorat. La preuve, il est venu hier pour l’anniversaire de la ville, mais les mains vides et sans dire un mot… Et quand on lui demande combien d’années il reste avant que la mine soit épuisée, il s’énerve presque. « Les mineurs continueront TOUJOURS à creuser dans la montagne. Il vaut mieux gagner très peu que rien« .
Je me suis habituée aux marches rapides. Ma respiration non, mais dans ma tête je sais qu’on s’arrête régulièrement. Alors telle les mineurs avec leurs conditions, moi aussi je me résigne, j’avance. Et surtout je ne me plains pas. Hors de question de minauder pour quelques heures de souffrance dans cet univers où la vie semble si proche de la mort.
C’est un peu le thème de ce nouvel arrêt. Nous sommes devant le « Tio » – l’Oncle – une statue représentant la divinité gardienne des lieux. Dehors c’est la Pachamama – la Terre Mère – qui règne. Ici, sous terre, c’est le diable. Et c’est lui qui décide de donner ou de prendre. Alors les mineurs prennent soin de lui, en lui faisant régulièrement des offrandes. Des feuilles de coca qu’on pose sur lui et surtout de l’alcool à 96° ! Le principe est d’en verser un peu par terre, pour lui, et de boire le reste.
Si un mineur est dans une période peu faste, il boit pour demander au Tio de l’amener vers un filon. S’il tombe sur un beau filon, il commence par boire pour remercier le Tio, avant de l’exploiter. S’il a un accident, il boit pour apaiser le Tio. Si c’est la fin du mois, il boit pour espérer que le mois suivant soit meilleur que le précédent. Si c’est le début du mois, il boit pour bien le commencer. Et le vendredi il boit pour oublier la semaine.
Julio ne veut pas parler des accidents, il a perdu des copains dans la montagne, ça ramène trop de sombres souvenirs. Alors il repart d’un coup sec, comme toujours. On continue d’avancer sous la montagne. Et soudain l’air semble légèrement différent, la lumière change, la lumière s’intensifie. Oui ! Nous voici vers la sortie. Comme un bouchon de champagne, j’ai l’impression d’être éjectée dans la lumière. Mes yeux clignent, c’est trop d’un coup. Je peux me relever, aspirer l’air par grandes goulées, je suis libre. Sortie de cet enfer, de cette vie des autres.
En conclusion, voici quelques points qu’il nous semble important d’avoir à l’esprit sur la visite des mines de Potosi :
- On visite une mine en activité et pas un musée ! Donc les conditions de sécurité sont identiques à celles des mineurs qui y travaillent. A savoir très mauvaises ! La visite s’effectue donc à vos risques et périls. Notre guide nous a confié (après la visite) que la semaine précédente il était resté coincé dans la mine avec des touristes à cause d’un éboulement. Ca arrive très rarement, mais ça peut arriver.
- Dans la mine, il fait chaud, il fait noir, il y a de la poussière, il faut se déplacer vite, il faut se déplacer penché, l’oxygène est plus rare. Il vaut mieux être prévenu.
- L’après-midi, il y a plus d’explosions de dynamite, donc plus de poussière, donc plus de difficulté à respirer. Il vaut mieux faire la visite le matin.
- La visite des mines est une source complémentaire de revenus pour les mineurs. Oui c’est vrai, mais c’est tellement faible. Pour un tour qui vous en coutera entre 100 et 150 bolivianos, seuls 10 sont reversés à la coopérative qui travaille dans la mine que vous visiterez. Oui pour nous aussi, cela parait infime ! Et encore il semblerait que certains tours operateurs versent moins de 5 par personne ! On a posé la question du « pourquoi si peu » à notre guide. La réponse ne fut pas très satisfaisante, du genre « les autres donnent encore moins que moi ». Mais il nous a dit aussi participer à l’achat de matériel pour la mine tel que des échelles pour améliorer à sa façon les conditions de travail des mineurs et accessoirement de visite des touristes.
- Avant la visite, on vous proposera – forcera – à acheter des « cadeaux » pour les mineurs. Feuilles de coca, alcool, cigarettes, jus de fruits, bâtons de dynamite (oui c’est en vente libre à Potosi !). Ces cadeaux sont très attendus par les mineurs, une autre façon de leur faire faire quelques économies, même si on n’aime pas trop cette façon de nous forcer la main.
- Certains tours operateurs proposent de faire des démonstrations d’explosions à la dynamite dans la mine : c’est interdit ! Fuyez. Faire péter de la dynamite ce n’est pas un jeu ! Faire des trous en plus dans une montagne déjà bien attaquée juste pour le plaisir de quelques touristes c’est juste n’importe quoi !
- Avec Greengo Tours, on n’a pas fait de sensationnel. On a marché dans les galeries, on (plus exactement Julio) a discuté avec des mineurs en pause. On n’a pas changé de niveau ce jour-là car il y avait trop de poussière dans certains boyaux, mais parfois il le fait. On n’a pas « fait des trucs de mineurs » que beaucoup de tours proposent, du genre s’essayer à la perceuse pneumatique, boire de l’alcool à 96°, pousser un chariot… Mais pourquoi vouloir faire perdre du temps aux mineurs en utilisant – sûrement mal – leur matériel ?
- Pour autant on ne fait pas l’apologie de Greengo Tours car Julio a parlé beaucoup beaucoup trop de politique, et avec véhémence, pendant tout le tour au détriment de plus d’informations sur les mineurs. Du coup on reste un peu sur notre faim sur le fonctionnement de la mine et on a fini soulés par ses propos. D’ailleurs notre commentaire dans son livre d’or doit en témoigner. Et pourtant, il fait bien tâche au milieu de toutes les choses positives qu’on y a lu (en même temps, n’est-ce pas l’apanage des livres d’or ?)
En tout cas, après quelques semaines pour digérer tout ça, il nous semble que si on entre dans une mine, avec la curiosité humble, les sens en éveil, sans chercher l’activité à sensation, alors on en ressort pas tout à fait le même. Touchés par l’implacable violence de ce monde qui n’est pas du tout le notre, mais pas non plus un autre !
11 juin 2022 à 20:48
Il n est pas fait mention des femmes qui dans les tas de gravats sortis de la mine et en tas devant l entrée fouillent minutieusement pour éventuellement trouver quelques pépites d argent oubliées….