Le Zimbabwe au plus près de la vie sauvage
PubliÉ le Catégories : Africa Truck, Zimbabwe. Tags : big 5, faune, nature.
Day 29, tragic day
Nous voici à Antelope Park. Dès notre arrivée, on a l’impression d’être dans un Disneyland des Safaris, un Jurassic Park de la faune africaine. La liste des activités proposées est longue comme le bras, et ils ont prévu 45 minutes de présentation pour nous expliquer tout ça.
Le site est plein à craquer, en particulier parce qu’un groupe de fervents chrétiens zimbabwéens est venu célébrer le week-end pascal ici. Est-ce que ça veut dire qu’on va entendre des gens courir en rythme et en chantant à 5h du matin comme la veille à Great Zimbabwe ?
Toujours est il que nous sommes plus de 300 personnes, ça nous change des campings sauvages !
Après un tour des installations, nous attendons la présentation des activités. Une femme arrive en courant au loin : « No, no, no, no, no ! »
Elle crie fort, très fort : « No, no, no, no ! »
Mais qu’est-ce qu’il lui arrive ? Pourquoi crie-t-elle si fort ?
Et puis je réalise qu’elle se dirige vers la piscine. Là où un attroupement s’est déjà formé.
On ne voit rien depuis là où nous sommes, mais on comprend qu’ils viennent de sortir son enfant de l’eau. Et qu’ils tentent désespérément de le réanimer.
Nous sommes tétanisés. De même pour la foule autour de la piscine. Un silence terrible.
Au bout de 10 minutes, les gens se mettent à chanter, pour Dieu, pour l’espoir.
Au bout de 15 minutes, je m’approche, je veux être avec eux, envoyer des ondes positives.
L’ambulance arrive enfin, ils sont toujours en train d’essayer de réanimer cette petite fille d’à peine 10 ans. Beaucoup de gens prient.
L’ambulance part, j’apprends que la petite fille est restée de longues minutes dans l’eau trouble de la piscine avant qu’on la remarque. L’espoir est mince.
Le groupe chrétien – auquel la famille appartient – décide d’entamer des prières collectives. Je me joins à eux. Je ne connais ni cette petite fille, ni aucun de ces gens. Je ne suis ni Chrétienne, ni même croyante. Mais je ne sais pas exactement pourquoi, je veux être là, avec eux. Tour à tour les gens prennent la parole, évoquent Dieu, remercient Jésus, citent la Bible, parlent de la toute-puissance de Dieu, le supplient de sauver Nassia, invoquent un miracle, la résurrection. Cela va trop loin pour moi. Mais je vois ces gens réunis autour de cette foi, de cette croyance absolue. C’est beau aussi. Peu importe qui nous sommes, d’où nous venons, nous sommes tous là pour prier à notre façon, pour maintenir en vie cette petite lueur d’espoir.
Un homme prend la parole, Nassia vient de quitter notre monde.
Alors que ce groupe de gens étaient venus prier et célébrer la grandeur de Dieu, c’est précisément ce week-end qu’il a choisi pour rappeler à lui l’un des leurs et plonger une famille dans la douleur d’une mort accidentelle.
« Isn’t it ironic ? » Comme dirait Alanis Morissette.
Après cette entrée en matière tragique, accentuée par la pluie et le froid, la présentation des activités est repoussée au lendemain matin. De toute façon, personne n’avait vraiment la tête à cela.
Antelope Park, controversé
A Antelope Park, ils ont mis en place un programme pour aider à la conservation des lions et éviter leur extinction.
Ils prennent des lionceaux tout jeunes et les séparent de leur mère. Ils les habituent à l’homme et deviennent comme leurs parents, leur famille. Ainsi pendant leurs deux premières années, ces lionceaux jouent, marchent, vivent avec l’homme. Les touristes peuvent ainsi les approcher et participer à leur éducation en jouant avec eux. Mais ces fauves ne perdent pas leur instinct animal et dès qu’ils ont l’âge de chasser, ils sont emmenés en balade nocturne pour qu’ils puissent développer leur sens de prédateur.
Une fois matures, ils sont « relâchés » dans un enclos de 36km² où ont été introduits d’autres espèces qui deviendront leurs proies. Avec cette quasi-liberté, les lions vivent désormais en autonomie et peuvent se reproduire. Les nouveaux lionceaux, eux, ne seront pas approchés par l’homme et après avoir atteints l’âge adulte ils pourront être réintroduits dans la nature sauvage.
Leur discours est bien rodé. On tique un peu sur le fait qu’ils n’aient pas encore pu relâcher un seul lion depuis 1999. Mais ils nous rassurent, c’est pour très bientôt, le processus prend du temps. Alors on se laisse séduire, tant par le programme que par les activités. Avoir la chance de pouvoir approcher ces animaux que nous avons appris à traiter avec déférence depuis notre enfance tout en ayant le sentiment d’aider à leur conservation nous semble alors intéressant.
Avec un peu plus de temps, de documentation et de recul, il s’avère que ce programme est extrêmement controversé. Malgré les emplois locaux créés et les volets éducatifs associés, il s’attacherait bien plus aux activités commerciales et lucratives qu’à la réelle conservation des gros chats sauvages.
Day 31 – 06h15, le jour où j’ai marché avec des lions
Il est 6h15, mes yeux sont à peine ouverts, mais j’écoute attentivement les conseils prodigués par le guide sur la sécurité de l’heure qui va suivre. Ce matin je vais marcher avec des lions. Oui des lions ! Ces animaux fiers, au port altier et au regard perçant. Ces fauves, dangereux.
Voilà les deux fauves qui approchent : Africa, un mâle et Alica, une femelle, tous deux âgés de 7 mois. Ils ne sont plus tout à fait des bébés, mais n’ont pas atteint leur taille adulte. Le mâle n’a pas encore de crinière, elle n’apparaitra que vers 11 mois. Mais ils ont déjà de grosses pattes, de grands yeux et leurs regards nous rappellent que tous mignons qu’ils paraissent, ils restent des bêtes à l’instinct sauvage.
Nous avançons dans la nature, ils nous suivent. Pour eux nous faisons partie de leur meute, si on s’arrête, ils s’arrêtent. Ils sont calmes, la démarche féline.
Tour à tour on peut passer un moment avec eux. Je m’approche et marche à leurs côtés. Les deux lions ne sont pas gênés par ma présence. Je suis même invitée à les caresser. Leur fourrure est épaisse, douce, un peu mouillée – oui, il pleut ce matin. Alica décide de s’allonger un peu. Je m’agenouille à ses côtés et en profite pour la caresser. Elle est comme un gros chat. Je ne dirai pas qu’elle a ronronné et qu’elle s’est roulée par terre pour que je lui gratouille le ventre. Ce serait un peu exagéré. Mais elle a l’air d’apprécier. Elle me regarde, elle a envie de jouer, les guides me disent de reculer. Rester sur ses gardes, ne jamais oublier que leurs jeux peuvent inclure crocs et griffes et que notre peau n’est pas taillée pour y résister.
Elle se relève, va rejoindre son copain qui, lui, n’hésite pas à sortir les dents pour jouer avec elle, pour son plus grand plaisir. Elle baille mais son regard acéré ne la quitte pas.
Pendant une heure nous nous promenons ainsi avec ces deux fauves. Il est vrai que parfois on a l’impression d’être dans un studio photo, tellement les guides nous mitraillent avec nos appareils photos pendant qu’on est occupé à câliner les fauves. Mais cela ne fait rien, on gardera pour toujours en mémoire ces moments calmes et en même temps très forts partagés avec Africa et Alica.
Oui, ce matin j’ai marché avec des lions.
Day 31 – 13h45, le show des éléphants
La pluie s’est accentuée depuis ce matin, et nous sommes coincés au bar du camp, à jouer au Trivial Pursuit, édition Afrique du Sud. Quand soudain, quatre éléphants adultes sortis de nulle part arrivent dans le camp et le traversent, en mangeant un bout de buisson au passage par-ci par-là. Puis ils prennent leurs aises au bord de la rivière, juste devant le bar, à une trentaine de mètres de nous. Les pachydermes se lancent dans une opération désherbage, arrachant méthodiquement toute végétation existant de ce côté de la rive. On tient le haut de la plante avec la trompe, et on la fauche d’un coup de patte avant, puis on ramène le tout dans la bouche. Et on recommence avant même d’avoir commencé à mastiquer. Il faut au moins ça pour atteindre les 150 kg de verdure dont chacun a besoin quotidiennement pour se nourrir !
Après le moment du repas, c’est l’heure du bain pour ces gros bébés. Enfin pour trois d’entre eux en tout cas, le quatrième ayant visiblement plus d’appétit. Ils s’immergent donc dans le lit de la rivière, et commencent par s’arroser à l’aide de leur trompe, qui fait office de flexible de douche pour l’occasion. Puis ils passent au niveau supérieur, en se laissant tomber de tout leur poids dans la rivière, avant de se relever. Opération réitérée plusieurs fois, et c’est vraiment impressionnant !
Le spectacle de la nature se termine par la traversée à gué de la rivière. Rien d’extraordinaire apparemment. Sauf qu’à un moment, la profondeur de la rivière est telle que les éléphants se retrouvent complètement immergés. Alors, comment ont-ils fait pour aller de l’autre côté ? Non, ils n’ont pas nagé, ils ont fait du snorkeling ! Avec leur trompe tendue hors de l’eau, en mode tuba et périscope cette fois, ils ont pu continuer à respirer et s’orienter bien que sous l’eau, et donc poursuivre leur chemin jusqu’à l’autre rive. Où ils ont repris leur opération de désherbage.
Un magnifique spectacle, gratuit et imprévu. Et probablement notre meilleure rencontre avec des éléphants !
Day 31 – 17h30, le jour où j’ai chassé avec les lionnes
Le ciel s’est enfin découvert, au meilleur moment. Et cette fois-ci Benoît est avec moi et nous nous apprêtons à partir chasser avec des lions. Oui, chasser !
Nous sommes 5 dans le Land Cruiser tout terrain, tout épreuve – paraît-il. Plus le chauffeur et 3 personnes qui vont gérer la lumière et les lions.
Nous arrivons devant l’enclos de Russissi, Dala et Washi, 3 lionnes de 29 mois. Elles ont atteint leur taille adulte, impressionnantes. En nous voyant arriver elles s’agitent, elles savent qu’on vient les chercher, qu’on va aller chasser et ça a l’air de leur plaire.
Les gardiens ouvrent la porte, elles accourent. Pour Benoît qui est à l’arrière du véhicule, l’adrénaline monte. 3 lionnes en quête d’une proie qui courent vers le Land Cruiser tout ouvert. Elles sont là, à quelques mètres de nous, sans écran pour nous protéger. Nous serions des proies faciles, non ? Mais pour elles, notre 4×4 fait désormais partie de la meute et c’est tous ensemble qu’on s’enfonce dans la savane.
Le jour tombe rapidement, mais nous arrivons encore à apercevoir au loin un groupe de zébus. Ne serait-ce pas de parfaites proies pour nos trois lionnes ? Mais elles ne semblent pas vraiment intéressées, ou alors c’est peut-être un peu loin encore.
Et puis soudain à gauche, voici un impala qui galope. Là, les lionnes n’hésitent pas. La tactique s’établit en un regard, deux foncent sur la proie et la forcent, tels des rabatteurs, à se diriger vers la troisième. Mais les impalas sont des animaux agiles et rapides, elle arrive à esquiver l’embuscade et nos trois amies reviennent bredouilles vers la voiture. On est en tout cas impressionnés par la rapidité avec laquelle leur travail d’équipe se met en place. Leurs grandes facultés intellectuelles sonnent d’un coup comme une évidence.
Nous repartons tous ensemble. Cette fois-ci la nuit est tombée, nos yeux ne sont pas aussi perçant que ceux des fauves, mais nous ne voulons pas allumer les phares pour trop déséquilibrer l’équation des chances entre proies et prédateurs. Alors un des guides allume une lumière rouge, moins violente et se met à balayer le paysage avec sa torche. Je suis au premier rang à l’arrière du pick-up sans toit. Debout, je scrute l’horizon à la recherche de deux points brillants : les yeux d’une proie.
Soudain j’en aperçois une paire sur notre gauche. Un impala – d’après notre guide, je n’ai pas encore de telles capacités en chasse… On s’arrête, la lumière dirigée vers notre proie pour que les lionnes la voit, mais elles semblent hésiter. Le terrain accidenté n’est pas le lieu idéal pour lancer une poursuite avec un animal si rapide et à près de 200m de nous. Alors nous redémarrons et emmenons les lionnes avec nous dans un grand cercle pour contourner la proie. Je scrute l’horizon pour la retrouver. C’est le silence dans la voiture, on entend aussi le pas des lionnes à côté de nous. Mon cœur palpite, j’ai vraiment l’impression de vivre cette chasse de l’intérieur, de chasser avec elles, de chasser comme une lionne.
Et puis tout à coup, les deux point brillants réapparaissent. Les lionnes les ont vu aussi. En une fraction de seconde, elles se distribuent les rôles à nouveau. On en voit une avancer doucement dans les grandes herbes qui nous séparent du frêle impala. Je retiens ma respiration. Soudain, les deux points brillants s’agitent, la course est lancée. Ils disparaissent et moins de 5 secondes après on voit l’impala voler dans le ciel, tel un projectile, suivi de près par la gueule d’une lionne. La proie a été touchée, c’est fini pour elle. Les autres lionnes l’attendent en face et en moins de temps qu’il ne me faut pour l’écrire, la bête est à terre entourée de 3 lionnes enfonçant leurs crocs acérés dans son cou. L’impala a compris que tout effort pour leur échapper est vain, il se résigne, en silence, à mourir dignement.
Nous sommes à deux mètres de là, à observer la cène. Etrangement, les lionnes lèchent d’abord la bête, comme pour la laver. Elles cherchent a priori l’endroit le plus tendre pour entamer le festin. Puis elles se lancent avidement dans la dégustation de leur dîner bravement acquis. En moins d’un quart d’heure, la bête est dépecée, les meilleurs morceaux de chair sont avalés, les entrailles dégustées et l’estomac – encore plein de la verdure constituant le dernier repas de l’impala – éventré.
Wahou ! Tellement incroyable !
Oui, ce soir nous avons chassé avec des lionnes.
Day 33, le jour où j’ai traqué des rhinocéros
Nous avons quitté Antelope Park pour le Matobo National Park, une réserve naturelle bien moins orientée business. L’objectif de la journée, c’est d’aller observer au plus près, à pied, sur leur terrain, les rhinocéros blancs qui peuplent les lieux. Mais quand on sait que le rhinocéros est un animal discret, qui a peur de l’homme, et qui préfère vivre caché au fond des bois, ce n’est pas une mince affaire.
Heureusement, on a un expert avec nous. Il s’appelle Norman, c’est un ancien militaire zimbabwéen qui a vécu pas mal de temps au milieu de la nature, au cœur des pires années qu’a connu ce pays, et il est spécialiste de la traque au rhinocéros, notamment. Bien sûr il ne fait pas cela dans le but de les massacrer pour vendre leur corne aux Chinois, mais pour les observer afin de mieux les protéger. Ce Rhino Trek avec Norman est donc de bon augure.
En arrivant dans le Matobo National Park, Norman nous explique d’abord plein de choses sur les plantes du coin et leurs vertus, puis s’arrête sur la piste pour analyser quelques empreintes : des hyènes sont passées par là il n’y a pas longtemps, un petit zèbre et sa maman également.
Impressionnant. Puis assez rapidement, nous nous arrêtons auprès de deux rangers armés. Leur mission est de protéger les rhinocéros contre les braconnards. Et ils ont justement repéré un groupe de rhinos dans les environs. Norman nous explique que c’est le moment d’aller les traquer, qu’il faut rester en groupe serré, marcher à pas feutrés, très silencieusement.
Il cherche des éléments pour s’orienter au milieu des bois. Des traces de pas indiquent la direction à suivre, des excréments frais nous confirment qu’on est sur la bonne piste, tout comme la manière dont certaines plantes ont été dévorées.
Et puis, après une petite demi-heure, Victoire ! Nous apercevons notre premier rhino, qui mange tranquillement. On s’enfonce un peu plus dans le bosquet pour nous rapprocher, et tombons sur tout un groupe de sept individus au total, dont quelques jeunes. Ils sont là, à quelques mètres de nous mais un peu cachés par la dense végétation qui nous entoure, massifs et impressionnants. Bien que gris foncés, Norman nous explique que ce sont des rhinocéros blancs : ils vivent en groupe, et n’ont qu’une corne principale. Les rhinocéros noirs, tout aussi gris, vivent plutôt en couple et ont une corne secondaire, et une forme de bouche différente.
Les rhinocéros nous regardent, nous restons silencieux. Certains s’allongent. Et puis après un bon quart d’heure d’observation mutuelle, ils se lèvent et s’éloignent. Nous ne les suivrons pas. Norman nous explique que c’est ainsi que les rhinos nous disent poliment « Au revoir, maintenant nous aimerions rester seuls« . Et qu’il faut respecter leur choix. Norman ne veut pas les forcer à subir notre présence et qu’ils s’habituent trop aux humains. Nous apprécions cet état d’esprit.
Mais il faut avouer que nous sommes un peu déçus de mettre si rapidement un terme à ce moment de grand privilège. En retournant au véhicule, on en veut encore, on demande à Norman si on va repartir traquer d’autres rhinos. Il essayera bien une fois de retrouver d’autres rhinos, mais ils sont déjà passés de l’autre côté de la montagne. Alors nous passons le reste de la journée à nous balader dans le magnifique parc, à découvrir les plantes, les différentes espèces, la survie au milieu de la nature, l’histoire du parc, des différentes tribus, du Zimbabwe…
Surtout, nous avons pu observer des peintures rupestres réalisées par les bushmen, ce peuple autochtone incroyable, ces chasseurs nomades qui ont été massacrés par un peu tout le monde et repoussés par les armes jusqu’aux confins du désert de Namib. Norman nous apprend avec quelle ingéniosité ils arrivent à survivre au sein de cette nature hostile, à se soigner grâce aux plantes, à chasser avec du poison, à peindre leur histoire sur des rochers et à communiquer dans la langue des « clics », ces sons formés en claquant la langue de différentes façons.
Une riche journée au cœur de la nature, qui est allée bien plus loin que l’observation d’animaux sauvages. On a touché du doigt quelque chose de plus global, appréhendé avec un guide passionnant comment tout ce qui constitue cet environnement fonctionne, quelle est la place et le rôle de chaque chose. Et on a découvert les bushmen, ces hommes qui survivent en cherchant à comprendre et s’adapter à leur environnement, et non en l’adaptant à eux. Inspirant.