Les aventuriers du rail – édition BAM

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Après le road-trip en Mongolie, c’est un long train-trip qui nous attend en Russie. Le train, c’est en effet le moyen de transport de personnes et de marchandises le plus commun dans ce pays. Les distances sont tellement immenses, et les conditions climatiques souvent difficiles, qu’il en devient inconcevable de voyager par la route. D’ailleurs, les infrastructures routières fédérales en Sibérie et dans l’extrême Orient russe sont très limitées et ne permettent généralement que de rayonner un peu autour des villes.

 

Les trains russes ont aussi un côté mythique, notamment dans l’univers du voyage. Le Transsibérien est une ligne légendaire de 9288 km, qui relie Moscou à Vladivostok. Une ligne construite il y a plus de 100 ans, qui traverse lentement toute la Russie, sur plusieurs jours, à travers des paysages de neige et de taïga. Voilà un mode de voyage que l’on voulait vraiment expérimenter !

 

Mais pour rejoindre Vladivostok, la dernière ville à l’extrême Sud Est du pays, tout près de la péninsule de Corée, un autre itinéraire existe. Depuis les années 1980, on peut utiliser la ligne BAM, acronyme de Baïkal-Amour-Magistrale.

Cette voie se sépare du Transsibérien à hauteur de Taychet, à quelques centaines de kilomètres à l’Ouest du lac Baïkal. Puis elle le contourne par le Nord, traverse la Sibérie presque tout droit et rejoint le Pacifique non loin de l’embouchure du fleuve Amour. Tandis que le Transsibérien, lui, passe par le Sud du lac Baïkal et longe la frontière chinoise quasiment jusque Vladivostok.

Plus longue et plus originale, c’est sur la BAM que nous avons choisi de traverser l’Est de la Russie. Un périple de 6766 km entre Oulan-Bator et Vladivostok. 146 heures de train, découpées en 6 étapes et quelques escales remarquables au milieu de l’immensité russe !

 

Carte BAM

 

 

Etape 1 : Oulan-Bator – Irkoutsk, 24 heures, 1121 kilomètres

Le train à destination de Moscou est sur le quai depuis environ une heure. On a pris place dans notre voiture de seconde classe, car il n’y a pas de wagon de troisième classe sur ce trajet. On est donc pour le moment dans un compartiment de 4 couchettes, mais juste tous les deux. Et on le restera jusque Irkoutsk. Grand luxe et grand confort pour démarrer ce long périple !

Il est à 15h25 à Oulan-Bator, 08h25 à Moscou, l’heure de référence de tous les trains russes, et notre train part enfin. Pile à l’heure.

 

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Sur le quai, on observe les Mongols qui saluent leurs familles, en partance pour un bien long voyage. Une vieille femme tient dans ses mains un petit récipient avec de l’eau, et en jette trois fois de suite en l’air avec ses doigts. Une manière de souhaiter bonne chance aux voyageurs dans cette longue aventure. Une belle dernière image de tradition mongole, avant de voir défiler nos derniers paysages de ce pays, toujours désertiques et vallonnés.

 

Rapidement, la nuit se met à tomber. C’est le moment de notre premier dîner pique-nique en train, arrosé de vodka, bien entendu ! Mais on a pris la précaution de dissimuler notre précieux breuvage dans une bouteille d’eau. Car a priori, depuis quelques années, il est interdit de boire de l’alcool dans les trains russes en dehors du wagon-restaurant. Peut-être y-a-t-il eu trop de débordements et d’excès par le passé ? En tout cas, on a constaté que même en troisième classe, ça ne picole quasiment pas dans les trains russes, contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer.

 

A peine avalée notre dernière lampée que vient le temps du passage de frontière. 1h20 d’arrêt dans la dernière gare mongole, 1h10 de transit entre les deux gares, et 1h50 dans la première gare russe. Tout ça pour deux coups de tampon, et, avec un certain soulagement, pas de contrôle de nos bagages. Non pas que l’on avait quelque chose en particulier à cacher, à part peut-être notre bouteille de vodka-cadeau pour notre couchsurfeuse et nos charcuteries du Jura pour nos futurs pique-niques, mais on se méfiait franchement des douaniers russes et mongols…

 

Nous voilà donc en Russie ! Et à 23 heures, 50 minutes et 00 secondes précises, comme l’indique l’horloge numérique de la gare, le train redémarre. La ponctualité des trains russes, voilà quelque chose qui nous aura bien marqués. Les trains sont lents, certes, mais à chaque fois ils arrivent et repartent à l’heure, à la minute près. Une telle précision pour des trajets qui durent parfois plus de 5 jours, chapeau ! D’ailleurs, les russes utilisent l’expression « précis comme un train » pour parler de quelqu’un de ponctuel. Oui, en français ça fait bizarre à entendre !

 

Au petit matin, après une bonne première nuit, on est déjà à Oulan-Oude, au bord de l’immense lac Baïkal. Le décor a sensiblement changé depuis la veille : des arbres ont enfin fait leur apparition. Majoritairement des boulots, aux couleurs jaune-orangé en cette saison, mais ça ne durera pas ! Et derrière quelques rangées d’arbres, on s’émerveille d’apercevoir, fugitivement, l’eau cristalline du lac.

 

Vers midi, alors qu’on rattaque une bouteille de vodka pour l’apéritif, on frappe à notre porte. On planque la bouteille, et une jeune femme visiblement typée mongole entre. Elle nous tend des feuilles de papier journal dans lesquelles sont disposés des petits morceaux de viande froide, qu’elle nous invite à déguster. Elle en offre ainsi à tous les passagers du wagon. Sympa, un peu de viande pour l’apéro ! L’intention est très bonne, mais la viande un peu moins… Décidément, la nourriture mongole passe toujours aussi difficilement !

 

La fin de ce premier trajet verra notre première tempête de neige russe. On s’extasie de ces premiers gros flocons, alors que le train poursuit imperturbablement son chemin jusque Irkoutsk. Mais d’ailleurs, quelle heure est-il ? Ne devrait-on pas être déjà arrivés à cette heure ? Quelle heure est-il à Irkoutsk ? À Oulan-Bator ? A Moscou ? On est complètement perdus ! Il faut dire qu’on est passé à l’heure d’hiver en Mongolie une semaine avant, ce qui n’est plus le cas en Russie, où le changement d’heure a été supprimé. Alors nos idées des décalages horaires sont chamboulées. On craint d’arriver une heure en retard, et de faire attendre Tania, la couchsurfeuse qui nous attend à Irkoutsk. Mais finalement, non. Notre train arrive parfaitement à l’heure. La ponctualité, il faudra s’y faire !

 

Irkoutsk, ici Irkoutsk. 8 jours d’arrêt.

 

 

Acheter des billets de train, une question d’organisation

On reviendra sur nos aventures autour d’Irkoutsk et du lac Baïkal dans un article ultérieur. Mais l’une de nos missions dans cette ville était d’organiser la suite de notre périple ferroviaire russe, et notamment l’achat des prochains billets de train. Une mission apparemment loin d’être évidente si l’on se réfère aux retours d’expérience de voyageurs que l’on a pu lire ici ou là sur le net.

Il paraîtrait même que, si on ne parle pas russe, l’aide d’un local est quasiment indispensable !

 

Alors, on ne sait pas ce qu’il en est en plein été à Moscou pour acheter des billets sur le transsibérien, mais pour nous à Irkoutsk, à l’approche de l’hiver, cela a été simplissime. Le secret, c’est de bien se préparer pour éviter toute question de la part du guichetier. Car on s’est dit que s’ils se mettaient à nous demander quelque chose, on serait cuit !

 

Pour cela, il faut passer un peu de temps sur pass.rzd.ru, le site de la compagnie ferroviaire russe. L’avantage de ce site, c’est qu’il parle anglais, au contraire des guichetiers. La veille, on a donc préparé tout notre itinéraire en utilisant les pages du site en anglais, puis en russe, en notant en russe toutes les informations susceptibles d’être demandées au guichet :

  • Numéro du train
  • Jour et heure de départ (heure de Moscou)
  • Ville de départ
  • Ville d’arrivée
  • Classe
  • Compartiment et numéro de couchette (il est possible de voir les disponibilités sur le site web, alors autant en profiter pour choisir des bonnes places)

Le plus dur, c’est finalement de choisir où on va et combien de temps on y reste !

 

 

Et puis on s’est pointés le lendemain à la gare d’Irkoutsk. Premier obstacle : à quel guichet on doit aller ?

Une fois trouvé le bon (à la troisième tentative…), on n’avait plus qu’à tendre fièrement nos bouts de papier et nos passeports, et attendre que l’opératrice rentre toutes les informations dans la machine. 10 minutes et une question piège plus tard (paiement en cash ou par carte ?), on est ressortis tous fiers avec nos 10 billets de train, sans aucune erreur et sans assistance.

Spasibo ! A nous Vladivostok !

 

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Etape 2 : Irkoutsk – Severobaikalsk, 33 heures, 1733 km

A vol d’oiseau, ces deux villes situées approximativement aux extrémités Nord et Sud du lac Baïkal ne sont distantes que de 700 km. Mais pour aller de l’une à l’autre par la terre, le train fait un énorme détour par l’Ouest, jusqu’à Taychet. C’est d’ailleurs dans cette ville que démarre la fameuse BAM, jusqu’alors confondue avec le Transsibérien classique.

 

C’est aussi dans ce train que l’on découvre la troisième classe, la moins chère. La principale particularité de la troisième classe, c’est que les compartiments sont ouverts sur le couloir, et qu’il y a deux lits superposés de l’autre côté du couloir, disposés parallèlement aux fenêtres. 201510 - Russie - 0131Il y a donc beaucoup moins d’intimité, et d’isolation sonore, que dans un compartiment fermé classique de première ou seconde classe.

 

Autrement dit, quand on se trouve dans le couloir, on voit d’un côté 4 lits superposés et une petite table, disposés classiquement de manière perpendiculaire au sens de la marche, et de l’autre deux lits superposés disposés dans l’autre sens, celui du bas pouvant se replier en 3 de manière à former deux sièges et une petite table. C’est bien fait.

Enfin, les « compartiments » mitoyens sont séparés par une cloison toute hauteur qui s’étire de la fenêtre au couloir.

Quant aux bagages, ils sont rangés soit sous les lits du bas, dans un casier, soit tout en haut, au-dessus des lits supérieurs.

 

Pour ce long trajet, le train est bondé et on a dû se contenter des places tout au bout du wagon, juste à côté de la porte menant aux toilettes. On est ainsi parfois réveillés par les gens faisant des allées et venues jusqu’aux toilettes, le bruit de la porte, et les coups donnés au passage si nos pieds dépassent dans le couloir.

Mais à part cela, niveau confort, la troisième classe n’a pas tant à envier à la seconde classe. Le lit reste presque le même, à peine moins long en troisième classe.

 

C’est au niveau ambiance et intimité que les choses changent davantage. Le compartiment de seconde classe est un vase clos où l’on peut passer plusieurs jours sans quasiment voir personne, alors qu’on voit passer plus de monde depuis notre compartiment ouvert en troisième. Voilà qui est plus propice à la rencontre et l’échange et qui est, en soi, déjà une manière de s’occuper. C’est du moins ce qu’on croit…

 

Après une journée passée à voir défiler la taïga et le train se désemplir petit à petit, on retrouve enfin le lac Baïkal. A son extrémité Nord, cette fois.

 

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Severobaikalsk, ici Severobaikalsk. 3 heures d’arrêt.

 

 

Etape 3 : Severobaikalsk – Novaya Chara, 12 heures, 654 km

Une très courte pause à Severobaikalsk, juste le temps de refaire le plein de nourriture et de vodka (pour en trouver il faut d’ailleurs s’éloigner de la gare car les magasins les plus proches n’ont pas le droit d’en vendre), de déjeuner dans une gargote locale, de jeter un coup d’œil à nos e-mails, et on doit déjà repartir. Pour notre plus courte étape, seulement 12 heures.

 

Pendant un bon moment, on longe la côte Nord-Ouest du lac Baïkal, qui offre un magnifique panorama sur à la fois le lac, des marécages gelés au premier plan et des montagnes enneigées en arrière-plan. Le lac, lui, n’a pas encore commencé à geler. Mais ça ne saurait tarder : à 13 heures, le thermomètre en gare de Severobaikalsk indiquait un frisquet -2°C !

 

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Dans le train, c’est tout le contraire. Il fait beaucoup trop chaud, la température dépassant fréquemment les 25-26°C. A tel point que parfois, on doive même ouvrir un peu les fenêtres. C’est absurde.

Cela fait du train un microcosme chaud, un univers à part au sein de la glaciale Russie, qui nécessite une logistique et une préparation précises.

 

D’abord, il faut enlever toutes nos couches de vêtements en arrivant dans le train, pour limiter le choc thermique.

Il faut aussi préparer en avance les réserves de nourriture, les couverts, le matériel pour s’occuper, les chargeurs, le nécessaire de toilette… afin que tout cela demeure facilement accessible pendant le voyage.

Enfin, il faut vêtir une tenue plus adaptée à la température : short, t-shirt et tongs, comme la plupart des passagers de longue durée. Cela donne parfois lieu à des scènes cocasses, comme lors de notre arrivée à Novaya Chara, en pleine Sibérie. -10 °C au milieu de la nuit, un vent glacial, mais des fumeurs en petite tenue sur le quai !

 

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Novaya Chara, ici Novaya Chara. 48 heures d’arrêt.

 

 

Etape 4 : Novaya Chara – Tynda, 13 heures, 631 km

Là aussi cette étape un peu spéciale dans la petite ville de Novaya Chara mérite bien un article à part entière. Patience.

En attendant nous repartons pour un trajet assez court qui nous fait longer, au petit matin, une belle rivière en cours de glaciation. Ça change un peu des invariables paysages de blanche taïga et de boulots effeuillés.

 

L’occasion d’observer d’un peu plus près le fonctionnement d’un wagon et notamment le rôle des agents en charge de la vie à bord, les provodnikov. Ou, comme ce sont majoritairement des femmes, les provodnikova.

Il y en a deux par wagon, mais elles travaillent en alternance.

Le travail commence sur le quai, où la provodnika (singulier de provodnikova) contrôle les billets et les passeports, avant de nous laisser monter à bord.

 

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Puis elle repasse une deuxième fois, dans le train, pour un second contrôle des billets et voir qui descend où.

Elle distribue ensuite la literie à chaque nouvel entrant : deux draps, une serviette et une taie d’oreiller, tandis que dans chaque « compartiment » sont rangés un matelas, un oreiller et une couverture (parfaitement inutile) par couchette.

 

A un moment, il faut prendre le temps de faire son lit, ce qui est parfois un peu acrobatique, surtout pour le lit du dessus. Ou quand on arrive au milieu de la nuit et qu’il faut faire ça dans le noir sans trop réveiller les voisins de compartiment…

 

Quand on doit quitter le train, c’est le même jeu mais dans l’autre sens. On défait les draps, on replie le matelas et on le range avec l’oreiller, et on donne les draps sales à la provodnika.

Entre temps, elle a bien d’autres missions : nettoyer régulièrement les toilettes et le couloir, vider les poubelles, fermer l’accès aux sanitaires avant chaque arrêt…

Car oui, 15 à 30 minutes avant chaque gare, ou en tout cas, chaque arrêt majeure, la provodnika ferme les toilettes, jusqu’à ce qu’on soit repartis. Quand on sait que les arrêts en gare peuvent parfois durer 60 ou 90 minutes, il faut savoir anticiper pour éviter de se retrouver bêtement devant porte close.

 

Enfin, la provodnika gère ce qui est sans doute le point névralgique de chaque wagon : la samova. C’est le distributeur d’eau bouillante, qui marche en permanence, gratuitement, et où à toute heure on peut venir recharger sa tasse de thé ou de café, mais aussi se préparer une soupe ou des nouilles instantanées.

 

Ce distributeur d’eau chaude nous avait donné des idées il y a bien longtemps, au début de l’année en Argentine, alors qu’on découvrait la sympathique tradition du maté.

On s’était dit que ce serait intéressant « d’exporter » cela dans les trains en Russie. Rien de tel que cette tasse que l’on se passe de mains en mains pour attirer la curiosité, briser la glace et échanger avec nos compagnons de voyage.

 

Alors notre coup du maté, on l’a tenté sur ce trajet jusque Tynda. Ça tombe bien, avec nous il y a Olya, avec qui on a enfin réussi à échanger quelques mots. On pensait faire sensation en sortant notre bombilla et notre sac de maté, 500 grammes que l’on se trimballe depuis plus de 8 mois ! Malheureusement, de l’Argentine à la Russie, le yerba maté n’a pas trop supporté le voyage et s’est complètement désagrégé. Il est devenu tout poudreux.

 

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Et notre technique de préparation n’étant pas non plus spécialement au point, on n’a pas réussi à préparer un maté digne de ce nom. A chaque fois, les trop nombreuses fines particules entraient dans la bombilla et la bouchaient, ou pire formaient un liquide pâteux en bouche, faisant de cette « opération » un fiasco. Echec… et maté !

 

Tynda, ici Tynda. 24 heures d’arrêt.

 

 

A Tynda, le musée de la BAM

La ville de Tynda est étroitement liée à l’histoire de la BAM et de sa construction. Le musée qui y est consacré, probablement le seul intérêt de la ville, vaut vraiment le détour. Surtout qu’il est possible d’avoir recours aux services d’un interprète pour le visiter en anglais, chose assez inimaginable dans cette partie si reculée de Russie.

 

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Avant le début de la grande aventure de la BAM, la ville de Tynda n’existait pas. En ces lieux vivaient seulement quelques familles d’un peuple autochtone, les Evenki. Puis dans les années 1930, le projet de la BAM a été lancé. L’idée était de construire une ligne alternative au Transsibérien, permettant à la fois de s’éloigner de la vulnérable frontière chinoise, et d’accéder aux importantes ressources minières, aurifères et pétrolières, de cette partie de la Sibérie.

 

Dans des conditions extrêmement difficiles, les travaux ont d’abord été réalisés par les prisonniers des camps de travail, les goulag, renommés bamlag quand il s’agissait des travaux de la BAM. Mais avec la Seconde Guerre Mondiale, le projet a dû être arrêté, et certaines des installations ont même été démantelées pour fournir de la matière première sur les fronts de l’Ouest.

 

Ce n’est qu’en 1974 que Brejnev décide de relancer la construction de la BAM, qu’il présente alors comme le « projet du siècle ». Et plutôt que d’avoir recours aux travaux forcés, il fait appel aux jeunesses communistes à travers toute l’URSS (Komsomol). Des milliers de jeunes venus de partout se portent volontaires – ou parfois sont désignés volontaires – pour réaliser ce grand projet dans des contrées au climat particulièrement inhospitalier.

Un chantier colossal : il faut ouvrir une voie dans la forêt, au milieu de nulle part. Cela implique donc aussi de créer une route de service, pour amener le matériel. Puis préparer le sol pour apposer enfin les milliers de kilomètres de rails. Et puis il a fallut bâtir des villes entières sur le trajet de la BAM, comme celles de Tynda et de Novaya Chara.

 

A noter que la ville, la gare et les portions de ligne autour de Tynda ont été confiées aux « brigades » de Moscou, faisant de Tynda la capitale symbolique de la BAM. D’ailleurs, la gare de Tynda est censée rappeler l’architecture des gares moscovites. Tout comme les autres villes et gares du tracé sont inspirées des villes d’origine des brigades qui les ont bâties.

 

Il faut enfin signaler que la BAM a été un défi technique ferroviaire important, du fait de la nature du sol. En ces latitudes, le sol est gelé en permanence en profondeur (phénomène appelé pergélisol, ou permafrost en anglais), le rendant imperméable. Quand ce pergélisol dégèle superficiellement en été, la surface devient instable et se déforme. Pas pratique pour les rails ! L’une des solutions utilisées face à ce problème a été de construire la BAM sur un lit rocheux épais d’environ 60 centimètres, afin d’éviter, par effet cave, les désastreuses conséquences du dégel saisonnier. Un sacré boulot !

 

Et ce n’est qu’en 1984 que les sections est et ouest ont enfin été connectées !

 

Les Evenki, le goulag, la construction de la BAM et ses défis techniques, la seconde guerre mondiale, mais aussi la faune, la flore, la nature et les ressources minérales locales : tout cela est expliqué, présenté et contextualisé de manière tout à fait passionnante au musée de la BAM de Tynda.

 

 

Etape 5 : Tynda – Komsomolsk-na-Amur, 36 heures, 1473 km

Voilà notre étape la plus longue, 36 heures de train pour rejoindre le fleuve Amour, tout à l’Est du pays. De là il ne reste ensuite plus que 440 kilomètres (une miette à l’échelle de ce pays) à parcourir avant d’atteindre Vanino, le port de départ vers l’île Sakhaline, et gare de passagers la plus orientale de la BAM.

Sur cette longue portion, le paysage alterne entre rivières à moitié gelées et forêts de boulots déshabillés par l’hiver. Pas de grand changement par rapport aux trajets précédents, donc.

 

Pour autant, le temps nous a semblé passer assez vite lors de tous ces trajets. L’agencement des couchettes permet en effet à chacun de s’asseoir ou s’allonger à sa guise pour vaquer librement à ses occupations. Ainsi, la vie en train se fait à son propre rythme, celui de ses légères et régulières secousses qui nous bercent. Un rythme bien différent de celui de l’extérieur.

On dort quand on est fatigué. On mange quand on a faim. On boit un thé, ou une vodka (mais chut !) quand on a soif. Grâce à tous ces livres numériques téléchargés avant le départ, on prend le temps de lire, ou d’écrire un peu. On regarde des films et des séries… jusqu’à ce qu’on ait plus de batterie. Alors il faut aller trouver une prise électrique fonctionnelle pour recharger les appareils. Ce qui nous emmène faire un tour en général dans les voitures de seconde classe, car les prises ne marchent quasiment jamais en troisième, et cela nous occupe encore deux bonnes heures.

 

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Et puis nous on s’est trouvés une occupation ultime : faire des jeux mathématiques, réminiscence de collège/lycée pour Sandrine. Des énigmes de la FFJM qu’on a passé des heures à résoudre. Des remue-méninges si puissants qu’ils m’en ont empêché plusieurs fois de dormir tranquillement, à moins de boire quelques vodkas pour penser à autre chose… Satanés nombres de Michel…

 

Justement, dans ce même trajet, un vieil homme s’est installé en face de nous. Il a un énorme goitre à la gorge et peut à peine parler, mais comprend bien le contenu réel de notre bouteille d’eau. Il sort alors une barquette d’œufs de poissons, qu’il nous propose de déguster afin d’accompagner notre apéritif incolore. On se laisse tenter, malgré son air vraiment bizarre : c’est effectivement presque immangeable, beaucoup trop salé, mais ça a l’air de lui faire tellement plaisir de partager son or rouge.

 

Pendant ce temps, lui aussi sort sa petite flasque de vodka qu’il s’enfile tranquillement. Il a l’air d’avoir envie de boire ce monsieur, voire même de beaucoup picoler, et pense avoir trouvé avec nous des compagnons de beuverie. Pour indiquer cette intention discrètement, sans attirer l’attention de la provodnika notamment, il y a même un signe spécial : il tapote son index et son majeur, accolés l’un à l’autre, sur le côté de sa gorge. Ça lui donne surtout un air de toxico, et ne nous inspire guère. Alors on lui explique qu’on va s’arrêter là, Jacques, et on se met au lit. Le lendemain, dans la couchette de Jacques, on trouvera une dame. L’incessant va-et-vient des passagers ne nous aura même pas réveillés.

 

Komsomolsk-na-Amur, ici Komsomolsk-na-Amur. 25h d’arrêt.

 

Etape 6 : Komsomolsk-na-Amur – Vladivostok, 25 heures, 1154 km

C’est déjà la dernière étape de notre périple, et elle démarre sous une tempête de neige. La première de la saison à Komsomolsk-sur-l’Amour. L’hiver vient d’arriver, et devrait durer jusque fin avril !

 

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Pour ce dernier trajet, on espère enfin pouvoir échanger avec quelques locaux. Il faut dire que nos précédentes interactions n’avaient pas été franchement des réussites.

Mais ici, à Komsomolsk, on trouve dans notre compartiment un groupe de 5 adultes qui prennent leur petit-déjeuner. Grâce à la nourriture, ce brise-glace universel, un petit début d’échange se lance avec certains d’entre eux. Mais malheureusement, ils descendront rapidement du train, nous ramenant à notre solitude pour le reste du trajet.

Ce manque d’interaction avec les Russes, alors qu’on avait des heures et des heures à passer ensemble, nous a un peu déçus. Certes, on ne parle quasiment pas un mot de russe, et eux quasiment rien d’autre que le russe. Mais pour nous, le mythe du Transsibérien, où les barrières linguistiques et culturelles s’effacent sous l’effet des verres de vodka, s’est effondré. Dommage.

 

Au contraire, on a même été plus que surpris par la très grande tranquillité régnant dans le train, même en troisième classe. Loin de l’image que l’on peut avoir des Russes lorsqu’ils voyagent à l’étranger, ils se sont montrés ici particulièrement respectueux et silencieux, de jour comme de nuit.

Dans le train, ils parlent peu, et toujours d’une voix très mesurée, sans éclats de rires bruyants ni hausses de ton. Ils écoutent leur musique ou regardent leurs vidéos avec des écouteurs. Avant de quitter le train, ils rangent les matelas et oreillers, remettent les draps usagés à la provodnika. Ils jettent leurs déchets dans les poubelles prévues à cet effet, et laissent les toilettes toujours en bon état. Voilà qui change des trains qu’on a connu dans d’autres pays, et qui ressemble davantage à ce que l’on connaîtra un peu plus tard, au Japon.

 

Le Japon, justement, le voilà qui approche. On file maintenant plein Sud, dans une région bordée par l’Océan Pacifique, et ça se voit : on retrouve quelques couleurs d’automne, alternant avec des paysages enneigés. Comme une partie de cache-cache entre les deux saisons.

On suit d’abord le fleuve Amour, le bel Amour. Puis on débarque dans le golfe éponyme. L’océan est enfin là, et on le longe jusqu’au bout, jusqu’à l’entrée en gare de Vladivostok.

 

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La mythique borne indiquant Moscou à 9288km est franchie. Nous sommes arrivés au bout de notre périple.

 

Vladivostok, ici Vladivostok. Terminus du train !



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