Au-delà du bout du monde – 1/2 – A bord du Sea Adventurer

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Cette fois, c’est au tour de Benoît de raconter comment il a vécu cette expédition en Antarctique.

 

Première partie : A bord du Sea Adventurer

 

Au-delà du bout du monde, peu importe qu’on le situe à Ushuaia, à Puerto Williams ou au Cap Horn, il y a un autre monde.

Un monde qui n’appartient à personne.

Un monde sans frontière, sans Etat, sans police.

Un monde que l’homme n’a jamais habité de façon pérenne, mais sur lequel il a néanmoins laissé des traces profondes et indélébiles.

Un monde que l’homme essaie aujourd’hui de protéger, tant bien que mal, mais pendant encore combien de temps ?

Un monde de neige et de glace, durci par le froid et balayé par des vents violents, que seule une faune fascinante a su investir.

Un monde où cohabitent pacifiquement de nombreux oiseaux et mammifères marins, épargnés par l’absence de tout prédateur terrestre.

Un monde que j’ai eu le privilège de visiter, et qui m’a chamboulé.

 

Quand la mer m’a pris, un mercredi

 

Pour partir à la découverte de ce monde, j’ai donc pris un bateau, le Sea Adventurer, avec une centaine d’autres passagers. C’est ma première expérience en mer, et je ne sais pas du tout à quoi m’attendre, ni comment mon corps va réagir au roulis et au tangage permanent du bateau, pendant 22 jours, à travers les mers australes connues pour être les plus difficiles du monde. En effet, ce n’est pas pour rien que l’on parle des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants. En plus, partout dans le bateau, je vois disposés de petits sacs blancs pour les nausées qui se terminent mal. Tout cela ne me semble pas très rassurant au moment de quitter le port d’Ushuaia.

Mais on a fini par partir, et la mer m’a pris, je me souviens, un mercredi.

 


Première journée de navigation, tout va bien.

Puis dès la fin du deuxième jour, le bateau commence à bouger dans tous les sens. Des verres qui se brisent, des gens qui ont du mal à tenir debout. Au micro, le leader de l’expédition annonce, avec un soupçon de sarcasme : « Bienvenue dans l’Atlantique Sud !« .

Un fort vent de face souffle sur le bateau, obligeant le capitaine à modifier son cap. Ca y est, les choses sérieuses vont commencer, je vais passer au révélateur du mal de mer. Et finalement…rien ! Je ne me sens pas malade du tout, malgré une nuit passée à m’accrocher dans mon lit pour éviter de tomber au gré des fortes secousses du bateau. Je découvre, soulagé, que je ne suis pas sensible au mal de mer. C’est une super nouvelle ! Moi qui me voyais passer l’essentiel des jours de navigation au-dessus des toilettes, maintenant je sais que je vais pouvoir profiter de ce voyage à fond, à chaque instant !

Après une petite journée de mauvaise mer, calme plat jusqu’en Géorgie du Sud. Pendant plusieurs jours, une mer d’huile où l’on s’amuse à observer et photographier le reflet des oiseaux à la surface de l’eau.

Magnifique !

 

 

 

C’est en quittant la Géorgie du Sud que les choses ont commencé à se gâter. Il le fallait bien. On nous annonce une tempête, qualifiée de « violente », avec des vents jusqu’à 60 nœuds (environ 110 km/h). Effectivement, ça bouge pas mal à bord ! Une bonne moitié des gens préfère rester au lit. Dont Sandrine, ce qui fait que je tourne un peu en rond entre les conférences, car il n’y a pas grand-chose à faire sur le bateau pendant tous ces temps morts. Alors au bout d’un moment, je me décide à aller dehors sur le pont, observer la mer déchaînée.

 

Wahou ! C’est incroyable de là-haut ! Je comprends mieux pourquoi on les appelle les cinquantièmes hurlants car en effet, j’entends le vent hurler, c’est incroyable. Je reste sur le pont supérieur à observer la puissance de l’océan, la puissance des éléments, à voir ce bateau se démener entre des vagues hautes de 6 à 9 mètres, à me demander vers quelle contrée inhospitalière nous pouvons bien nous diriger en ce début d’été. La péninsule Antarctique ? Ca promet !

En seulement quelques minutes, je suis trempé par la pluie et les gerbes d’eau projetées lors du choc du bateau contre les vagues. Je suis aussi gelé par le vent glacial qui souffle face à nous. Impossible de rester face au vent plus de quelques secondes ! Mais au final, je prends du plaisir pendant ces moments passés seul dans le froid, à contempler la mer. Je me dis qu’il faut bien passer par-là, subir la mise à l’épreuve de la nature, pour aller en Antarctique, pour mériter un peu de visiter ce continent.

 

Le jour suivant, rebelote ! Entre deux conférences, je prends le temps de monter sur le pont pour profiter – aussi – de cette partie du voyage. En plus, les éléments continuent de se déchaîner, et c’est même une tempête de neige qui s’abat cette fois sur nous ! Dehors dans ces conditions dantesques, je me mets à penser à ces navigateurs des siècles passés, à ceux qui ont traversé ces mers déchaînées, des semaines et des mois durant, avec des moyens dérisoires et des outils rudimentaires. Transi par le froid, je mesure un peu plus l’immensité de leur courage et de leurs exploits. Perdu dans mes pensées, je ne vois pas le temps défiler. Alors en rentrant, je suis trempé, recouvert de neige, les lunettes embuées et le visage rougi par le froid. Des gens à l’intérieur du bateau m’observent, ébahis : « Mais d’où viens-tu donc comme ça ? Regarde-toi ! ». Je me dis que je suis simplement sorti du cocon protecteur du bateau, parti prendre un peu d’air pur, sentir le vrai monde, le dehors. Et j’ai adoré !

 

Le lendemain, nous avons approché du continent Antarctique, puis nous n’avons plus connu par la suite de mauvaise mer. Même le passage de Drake, lors du retour vers Ushuaia, nous a offert un calme plat (si, a priori c’est possible !), au grand soulagement de tout le monde. Hormis ces deux-trois jours de tempête, les conditions de navigation ont été simplement parfaites. Idéales pour découvrir et observer la fascinante faune marine, mais aussi profiter des somptueux paysages qui se sont offerts à nous.

 

Le lent défilé des paysages grandioses

 

Parmi toutes les choses que j’ai découvertes à bord du bateau, la lenteur de la navigation en est une particulièrement agréable. Cela nous laisse beaucoup de temps pour contempler les paysages lorsqu’on navigue au large des côtes. Alors avec une vitesse de croisière à 12 – 12,5 nœuds (22-23 km/h) quand les conditions sont bonnes, et parfois beaucoup moins, autant dire que j’ai été comblé sur ce point. Et tout d’abord, dans le canal de Beagle, entre les montagnes de la Terre de Feu et de l’île Navarin, car ça nous a donné enfin l’occasion d’avoir un point de vue sur les environs d’Ushuaia, chose que nous n’avions pas pris le temps de faire sur place.

 

201412 - Antarctique - 0020 - Panorama

 

Ensuite, au large des Malouines, pour profiter de leurs collines verdoyantes qui surplombent de magnifiques plages, seulement investies par les manchots et les oiseaux qui viennent y nidifier et couver leurs petits. Et c’est sans doute bien mieux comme ça !

 

201412 - Antarctique - 0115

 

En quittant les Malouines, nous avons aussi quitté nos derniers paysages de végétation. Après, tout n’a été que neige, glace, roche, sable voire cendre… Mais tellement bien agencés ! Par exemple, Shag Rocks (ou îles Aurora) : juste six gros cailloux qui émergent au milieu de l’océan, à 1000 km des dernières côtes des Malouines et 240 km des premières de la Géorgie du Sud, donc seulement accessibles et visibles en bateau. Encore un paradis pour les oiseaux et quelques manchots, qui sont même venus nous saluer près du bateau lors de notre passage au large de ces rochers. C’est vrai que les visiteurs doivent y être rares ! Telles des pyramides naturelles surgies du fond de l’eau, ces îlots m’ont vraiment impressionné, notamment par le nombre d’oiseaux et de manchots qui habitent sur ces quelques mètres carrés disposés quasi à la verticale. Une merveille de géologie et de biologie marine ! Et une belle introduction à la Géorgie du Sud.

 

 

Là-bas, depuis le bateau, nous avons pu profiter de paysages quasi vierges d’habitations humaines. Quelques vestiges de la période « baleinière » demeurent toutefois, ainsi qu’un musée, un bureau de poste et une station scientifique. Mais je retiens surtout l’image de montagnes enneigées, de quelques grandes plages que la nature a investi abondamment, de glaciers qui se jettent tout droit dans la mer. Alors quand tout cela se mélange, comme à Gold Harbour par exemple, cela offre des paysages vraiment grandioses.

 

 

Et puis il y eu l’Antarctique ! D’abord, les îles sub-antarctiques, où on a rencontré nos premiers icebergs. Il y en a de toutes tailles et de toutes formes : du petit glaçon à l’énorme bloc haut comme trois fois notre bateau, de l’iceberg tabulaire tout plat, presque coupé au cordeau, à celui de forme bien plus aléatoire, indescriptible, sans parler des nuances de couleurs allant du blanc pur au bleu profond. Les glaciers du coin nous ont vraiment offert leurs plus belles pièces !

 

 

Quant à la navigation au large de la côte Ouest de la péninsule Antarctique, c’est assez difficile à décrire… Si je peux dire que tout ce que j’ai vu avant m’a émerveillé, alors les mots me manquent cruellement pour décrire les paysages du septième continent. Vu depuis le bateau, on est très loin de la représentation que l’on a, dans notre imaginaire, de l’Antarctique : une infinie étendue blanche et plate. C’est bien plus montagneux et diversifié que cela. Au début, la basse et grise couverture nuageuse donnait un air mystique aux paysages. On se disait : « c’est normal, c’est l’Antarctique, il doit faire souvent gris ». On distinguait seulement au loin quelques bouts de montagne cachés derrière les nuages, laissant apercevoir le mystérieux continent.

 

201412 - Antarctique - 0802

 

Et puis aux premiers jours de la nouvelle année, tout cela s’est dégagé, le ciel bleu et le soleil ont fait une tonitruante apparition et ont radicalement changé l’impression générale : FEERIQUE ! L’exercice est difficile, mais essayons quand même d’imaginer un navire qui slalome lentement au milieu d’icebergs et de morceaux de banquise de toute taille.

 

 

Il rentre alors dans un étroit chenal avec de part et d’autre des montagnes abruptes couvertes de neige, au milieu d’entre elles, des glaciers d’une pureté incroyable, le tout qui se reflète dans une eau extrêmement calme, sous un grand ciel bleu. Et ajoutons un beau soleil qui éclaire tout cela, se reflétant lui aussi à la surface des glaciers, des icebergs et de l’eau. Moi, ça m’a donné l’impression d’un décor de fiction, dessiné par un  artiste très talentueux. Mais c’était bien réel !

 

Et enfin, il y a eu une dernière belle surprise, sur le chemin du retour. Le capitaine, après un passage de Drake bien calme, nous a offert un dernier cadeau, comme si nous n’avions pas été encore assez chanceux : le Cap Horn ! Sympa, en effet, de voir cette succession d’îlots rocheux qui constitue le bout du monde « civilisé », et de revoir des paysages dépourvus de neige et plus verdoyants. Mais après la péninsule Antarctique, je dois reconnaître que cela avait une saveur un peu plus fade…

 

Et puis il y a eu des moments, parfois plusieurs jours de suite, où il n’y avait aucun paysage à se mettre sous la dent. Mais heureusement, même en pleine mer, même quand elle est toute plate, le spectacle ne s’arrête jamais, car il reste toujours… la faune marine !

 

La grâce du vol de l’albatros

 

Ma première rencontre avec celle-ci a d’abord été avec les oiseaux marins. Première expérience en mer, aucune connaissance en ornithologie : la découverte a donc été totale pour moi ! Et je me suis surpris à passer beaucoup de temps à les observer sur le pont arrière du bateau, surtout les premiers jours. Car au bout d’un moment, en fait, c’est toujours un peu la même chose. Bien sûr les experts rencontrés sur le bateau avec leur paire de jumelles et leur énorme objectif d’appareil photo me rétorqueront, sans doute à raison : « Mais non, ce n’est pas du tout la même chose. Regarde ce grand oiseau gris, et bien il a une tâche verte sur le bec. C’est donc un pétrel géant. Alors que l’autre grand oiseau gris là-bas, il a le bout du bec rougeâtre, c’est donc un pétrel de Hall« . Mouais… En même temps, je n’ai ni paire de jumelles, ni gros appareil photo, donc à l’œil du nu, c’est assez difficile d’identifier ce genre de subtilités, surtout sur un oiseau en mouvement.

 

En revanche, avec le champ de vision ainsi dégagé de tous ces appareils, c’est un vrai plaisir d’observer simplement la dynamique de ces grands oiseaux, quand ces albatros et ces pétrels déploient leurs immenses ailes pour planer derrière le bateau, en se laissant porter par les vents. Quelle grâce ! Je suis surpris de ne les voir battre de l’aile que très rarement. Cinq-six battements de temps en temps, pour reprendre un peu d’altitude, puis ils se laissent porter jusqu’à quelques centimètres de la surface de l’eau, planant ainsi pendant de longues secondes. On en croise aussi parfois posés sur l’eau – quelles que soient les conditions de mer d’ailleurs – qui mangent ou se reposent. Le plus drôle est de les voir alors reprendre leur envol. Ils se dressent sur leurs frêles pattes et courent à toute vitesse sur la surface de l’eau en battant des ailes, avant de décoller. Ils voyagent de cette façon sur des centaines, des milliers de kilomètres sans se reposer, et ils ne reviennent sur terre qu’une fois par an, pour se reproduire. La flottabilité des œufs, dernier obstacle à la liberté absolue pour ces merveilleux oiseaux !

 

Jamais assez des cétacés

 

En restant sur les ponts extérieurs, notamment en pleine mer, on a aussi eu la chance de rencontrer des dauphins, des baleines, et même des orques ! Bref, des cétacés. Bien entendu, comme ils passent la majorité de leur temps dans l’eau, ils sont bien plus difficiles à observer que les oiseaux… Quoique pour les dauphins, ça va encore. Bien que petits, ils sont très joueurs, et font même tout pour se faire remarquer : ils se baladent en petits groupes, font plein de petits ou de grands sauts hors de l’eau, vont et viennent à proximité du bateau. Quand ils sont là, on ne peut vraiment pas les rater !

 

 

En fait, j’ai même eu l’impression qu’ils agissaient comme s’ils voulaient « saluer » le bateau, curieux de découvrir de plus près cette énorme masse filant dans l’océan. J’aurais aimé les observer davantage pour mieux saisir leurs manifestations d’intelligence. Malheureusement, on ne les aura vus qu’à proximité du continent américain, au départ et au retour donc, ainsi qu’aux Malouines.

 

C’est d’ailleurs là-bas, en arrivant à Saunders Island, que la rencontre a été la plus marquante. Pour notre second débarquement du voyage. Un grand groupe de dauphins de Commerson, environ une trentaine d’individus, est d’abord venu jouer aux abords du bateau qui était ancré dans la baie. Puis une fois à bord du zodiaque utilisé nous faire débarquer sur l’île, les Commerson ont poursuivi, et même intensifié, leur spectacle. A seulement un mètre de nous cette fois. Ils sautaient partout, passant à l’avant du zodiaque, puis de l’autre côté, faisant des vrilles ou surfant sur les déferlantes à l’approche du rivage. Ils nous entouraient complètement, sans aucune forme d’agressivité ou de peur, bien au contraire. Ils avaient plutôt l’air joyeux, heureux de nous rencontrer, de nous découvrir et de s’amuser avec nous. Un chouette moment de convivialité animale !

 

 

 

Les rencontres avec les baleines, par contre, ont été une toute autre histoire. Pour les observer, déjà, il faut avoir de la chance, l’œil vif et beaucoup de patience. Mais quand la mer est plate, le jeu en vaut la chandelle. Alors on reste là, dehors, dans le froid, à scruter l’océan en espérant identifier un mouvement anormal à la surface de l’eau qui pourrait être le signe de leur présence : une forme sombre qui surgit de l’immensité bleue marine, une projection d’eau à la verticale différente de celle de l’écume… Bref, pas simple. Et surtout, les baleines, à la différence des dauphins, ne viennent pas se montrer ou jouer près du bateau. Probablement une réminiscence du massacre qu’elles ont subi pendant des décennies le siècle dernier. Du coup, quand le hasard fait que nous passons à proximité d’une ou plusieurs baleines, baleine à bosse, rorqual ou la plus petite Minke Whale (rien à voir avec la barre chocolatée), on n’a finalement rien vu d’extrêmement spectaculaire : d’abord un jet d’eau, puis un bout de dos, de couleur sombre, qui émerge de l’océan, et parfois une jolie queue qui vient frapper la surface de l’eau. Rien de plus.

 

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Ah si ! On a juste vu une fois une baleine à bosse agir très bizarrement : elle a frappé la surface de l’eau avec sa queue, 25 fois de suite. Elle avait l’air vraiment énervée, sans doute avait elle ses raisons… A moins qu’elle n’agissait ainsi juste pour « tétaniser » les poissons derrière elle et ainsi les capturer plus facilement.

Le mystère reste entier !

 

Mais voilà, bien que pas vraiment spectaculaire vu du bateau, ma première rencontre avec les baleines restera un moment particulier. Je suis maintenant encore plus fasciné par ces immenses créatures et tous leurs mystères : leur chant, leur intelligence, leurs capacités physiques, leur comportement individuel et social.

 

Des orques et de la barbaque pour terminer 2014

 

Pour le dernier jour de 2014, nous avons eu la chance de faire notre premier débarquement sur le continent Antarctique. Un moment fort sur lequel je reviendrai dans la deuxième partie de l’article. Toujours est il qu’à un moment, il a bien fallu revenir sur le bateau. Nous avons pris tout notre temps pour nous préparer pour le réveillon. Pas besoin de courir, la soirée va être longue, pensions nous.

 

 

Sur le pont arrière du bateau était organisé pour l’occasion un barbecue polaire, une chouette idée ! Mais à notre arrivée, la plupart des gens avaient déjà fini de manger, certains rentraient même déjà dans leur cabine. A peine avions-nous pris nos premiers morceaux de barbaque que l’on rangeait déjà les tables et lançait la musique pour la poursuite des festivités. Dommage ! Visiblement, ce n’est pas dans la tradition anglo-saxonne de prendre plus son temps à table à l’occasion du réveillon. Après avoir dû expédier notre repas, on a donc rejoint le groupe de quelques téméraires, une quinzaine de personnes tout au plus, qui dansait dehors dans le froid. Et là, alors que Anglais et Australiens célébraient déjà l’arrivée de l’année 2015 dans leurs fuseaux horaires d’origine, une rencontre formidable et inattendue s’est produite !

 

Un petit groupe d’orques est venu jouer juste à côté du bateau. Un vrai cadeau en cette fin d’année, tant cet animal, à l’état sauvage, est difficile à observer. Et tant il est magnifique aussi ! Elles nous ont même offert quelques jolis sauts, nous permettant de mieux voir leur tête de grand prédateur et leurs couleurs : noir dessus, blanc en dessous. J’ai même eu l’impression que leurs mouvements à la surface de l’eau étaient en rythme avec la musique qui n’avait pas cessé sur le pont. Peut-être était-ce l’euphorie du moment, peut-être aussi mon sens du rythme pas forcément très au point, mais toujours est-il que pour moi, ces orques ont vraiment participé à la fête et dansé avec nous. Et puis après quelques minutes, elles sont parties finir le réveillon de leur côté. La musique s’est arrêtée sur le pont extérieur et les passagers du bateau sont tous rentrés à l’intérieur, des belles images plein la tête pour terminer l’année.

 

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1er janvier, l’eau est à 1°C et on va bien se régaler !

 

Pour le 1er janvier, comme en de nombreux endroits de la planète, nous n’avons pas dérogé à la tradition du bain du Nouvel An. Ce jour-là, le bateau faisait route vers le Sud, slalomant entre les icebergs et de plus en plus de morceaux de banquise à la dérive. Un véritable exercice d’équilibriste pour le capitaine et son équipe.

 

 

Puis nous avons fini par franchir le cercle polaire Antarctique, vers 16 heures. Un moment très symbolique du voyage qui a été fêté comme il se doit par un gros coup de sirène, puis un verre de cidre chaud, des photos (encore !), des déguisements de fortune… et un Polar Plunge pour les plus givrés. Le Polar Plunge, c’est (plus ou moins) un plongeon dans les eaux glacées au-delà du cercle polaire. On s’était imaginé beaucoup de choses sur ce plongeon :

Allions-nous sauter depuis le bateau directement dans la mer ? Un par un ou en groupe ? Ou allions-nous courir dans l’eau depuis la terre ferme ? Dans ce cas, allions-nous réussir à nous immerger totalement, alors que d’habitude on arrive à peine à y laisser traîner nos doigts ? Comment résister au froid dehors en maillot de bain, alors que nous ne quittons plus nos polaires et grosses parkas depuis plusieurs jours ?

Bref, l’expérience nous intriguait beaucoup. Mais définitivement, on voulait y aller tous les deux.

 

Et finalement, on nous a informés que l’on aller sauter depuis le débarcadère inférieur du bateau, là où d’habitude on débarque pour monter sur les zodiaques. Point de grand saut donc, on sera juste un petit mètre au-dessus de l’eau. Et surtout, on sera attaché à une corde, tenue par deux marins. Pour nous ramener à bord au cas où le froid aurait raison de nous. Un zodiaque se tiendra aussi à proximité, toujours au cas où, mais surtout pour prendre des photos. Sympa ! Autre point positif, un shot de vodka nous attendra à notre remontée sur le bateau. Vraiment sympa !

 

On part donc enfiler nos maillots de bain et faire la queue dans le couloir inférieur, car une trentaine de passagers s’est aussi laissée tenter par l’expérience. Les gens qui s’apprêtent à sauter devant nous grelottent face à la porte grande ouverte, les gens qui remontent de l’eau grelottent également. Faut dire que l’air est frais, et le fond de l’eau aussi !

 

Et puis mon tour est arrivé. On m’a passé la corde autour de la taille, serré bien fort. Il n’y avait plus qu’à.

Un petit mot à ma caméra que je tenais devant moi, un coup d’œil sur les icebergs et les plaques de banquise qui flottent autour du bateau, puis je saute sans trop hésiter, sans faire de « figure » particulière.

Plouf !

Une fois dans l’eau, mon corps n’est guidé que par une chose : remonter le plus vite sur le bateau. Ma tête aimerait bien rester un peu, juste pour profiter quelques secondes du moment, mais mon corps, lui, ne veut vraiment pas. J’ai l’impression de paniquer, je veux crier mais aucun son ne parvient à sortir, tout mon corps est comme contracté par le froid. Je remonte finalement tant bien que mal sur le bateau, ne trouvant même pas l’échelle qui mène sur le ponton. Je tremblote et ris en même temps, sans savoir pourquoi.

Comme si j’étais dans un état d’ivresse créé par le grand froid, par cette eau à 1°C qui m’a saisi instantanément. Un coup de folie que je ne suis pas prêt d’oublier !

 

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Fede le féru d’histoire, Miko la passion glacée et les membres de l’expédition

 

Pour être complet sur les temps forts de la vie à bord du bateau, je me dois de parler des personnes à bord qui ont rendu ce périple encore plus captivant : les membres de l’expédition. Non, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’une joyeuse bande de GO du Club Med qui est là juste pour nous divertir sur le 7ème continent. Loin de là ! Sinon, je ne m’amuserais pas à écrire tout un paragraphe sur eux. Ce groupe de treize personnes est un mélange de scientifiques, de passionnés du monde polaire et de guide-aventuriers. Et leur mission a été de rendre l’expédition la plus intéressante et enrichissante possible pour tout le monde, grâce à leur expérience de l’Antarctique.

 

Ainsi, ils étaient en charge d’établir l’itinéraire et le programme des sorties au jour le jour, au gré des événements, de la météo et des éléments, afin de débarquer le plus possible au meilleur endroit, au meilleur moment. Ils nous ont encadré lors des sorties, afin d’assurer à la fois notre sécurité et surtout la protection de la nature environnante. Et enfin, surtout, ils nous ont fréquemment proposé tout un tas de conférences sur leurs sujets de prédilection ou leurs aventures et expériences personnelles. Une vraie belle équipe, bien équilibrée et passionnante que je vais donc vous présenter.

 

A tout seigneur tout honneur, je commence par Solan, le leader de l’expédition. Solan, c’est un peu le chef d’orchestre de l’expédition. Originaire d’Alaska, d’abord ranger dans un parc national là-bas, il a ensuite eu une expérience de chaudronnier à la station Amundsen-Scott, au pôle Sud, et a fini par devenir guide en Antarctique. C’est lui qui décide in fine, en collaboration avec le capitaine, de la route à suivre et des arrêts à effectuer. D’une patience infinie, à l’écoute de chacun, c’est aussi lui qui, tous les matins, nous réveille avec un peu de musique classique puis de sa voix toute douce, dans un remake de Good Morning England, nous annonce :

« Goooooood morning ladies and gentlemen… good morning. Il est 6h30 du matin. Le petit déjeuner va être servi dans 30 minutes… Nous sommes en approche de la péninsule Antarctique… Le temps est incroyable, la température extérieure juste au-dessus de 0°C… Et ce matin, depuis le pont, on a déjà vu plusieurs baleines à bosses, et toujours de nombreux albatros à l’arrière !… Good morning ! »

De quoi démarrer une nouvelle journée avec un large sourire, non ?

 

Il y a ensuite tous ceux au profil plutôt « guide » :

  • Sean, un collègue de Solan dans le même parc d’Alaska, ranger lui aussi, et grand amateur d’aventures en kayak en autonomie sur plusieurs jours
  • Becks, une néo-zélandaise dont on ne comprend pas un mot lorsqu’elle parle, spécialiste du kayak, mais aussi des vents et des nuages
  • Christian, un spécialiste de biologie marine devenu guide, originaire de l’Ouest canadien, qui a passé la barre des 50 expéditions polaires, Arctique et Antarctique confondus
  • Abbey, la canadienne, Liz et Ali, les australiennes, guides orientées monde polaire et aventure
  • Franny, une autre canadienne, en charge du magasin de souvenirs du bateau. Bon pour le coup, ça, c’est pas très intéressant…
  • Barbra, la doc’ américaine, qui distribue ses pilules anti-mal de mer à tour de bras

 

Et puis il y a les scientifiques, ceux dont les conférences m’ont captivé et dont l’expertise m’a aidé à mieux comprendre tout ce que j’ai vu, et donc à mieux en profiter :

  • Adrian, ornithologiste australien, qui nous a tout expliqué sur les albatros, les pétrels, les manchots, leur vie en mer, leur vie sur terre, comment les observer, les photographier… Bref, tout sur les oiseaux !
  • Will, le géologue / glaciologue australien. Jeune et dynamique, en mode : « Hey guys, how you doin’ ? Let’s speak about ice !« , mais avec une patate chaude dans la bouche. Pas toujours facile à comprendre donc, mais souvent drôle pour parler d’une discipline qui ne l’est pas forcément. Il nous a aussi régalés avec une présentation, très personnelle pour le coup, sur sa traversée de Londres à Oulan-Bator en Peugeot 206. Bref, un mec sympa et intéressant

 

Il y avait aussi Federico, dit Fede, un jeune historien-écrivain argentin. Son truc à lui, c’est l’histoire de la conquête de ce continent et de la présence humaine dans les contrées australes.Il nous a donc parlé des différentes expéditions, celles de Shackleton, celle des Suédois (avec les Norvégiens Larsen et Amundsen), celle des Belges (avec Gerlache). Il a aussi développé l’histoire des stations baleinières en Géorgie du Sud et du tourisme en Antarctique. Beaucoup de sujets que j’ai découverts avec grand intérêt.  Et puis, comme un clin d’œil sympathique, Fede est un bon ami de Alexis et Sigolène, les français que nous avions rencontré à Puerto Natales. Le monde complote, comme dirait l’autre.

 

Enfin, il y a eu Mikolaj, dit Miko. Mon vrai coup de cœur ! Miko est un biologiste polonais, spécialiste des mammifères marins. Il a effectué quelques missions de recherche en Antarctique sur l’un de ses sujets de prédilection : la reproduction des éléphants de mer, et a passé en tout 3 ans sur la base scientifique polonaise Arctowski (4 étés et 2 hivers). Il a même été commandant de cette base lors de sa dernière mission. Aujourd’hui, il a quitté le monde de la recherche scientifique et œuvre comme militant actif de Greenpeace et de WWF, et comme guide-expert en Arctique et en Antarctique. Miko nous a donc appris plein de choses passionnantes sur le monde des mammifères marins : phoques, otaries, éléphants de mer, baleines, orques, dauphins. Il nous a aussi parlé de la fascinante vie sur une base scientifique en Antarctique.

Mais Miko, c’est surtout une approche originale et pleine d’humour du monde scientifique, du monde animal et de la nature.

 

Il nous a rappelés, en diverses occasions, l’humilité que l’homme doit avoir dans son rapport avec la nature, que celle-ci sera toujours plus forte que nous, spécialement en Antarctique. Et il a bien fait, car avec toute la chance que l’on a eue lors de nos débarquements à terre ou en zodiaque, on aurait pu facilement l’oublier !



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