Au-delà du bout du monde – 2/2 – L’euphorie des débarquements

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Cette fois, c’est au tour de Benoît de raconter comment il a vécu cette expédition en Antarctique.

 

Deuxième partie : L’euphorie des débarquements

 

Le rituel du débarquement

 

201412 - Antarctique - 0562A chaque débarquement, généralement deux fois par jour, sauf les jours où l’on navigue en pleine mer, c’est le même rituel.

D’abord, on s’équipe pour affronter le froid et le vent : collant thermique, grosses chaussettes, sur-pantalon étanche prêté gratuitement par notre agence à Ushuaia, bottes mises à disposition sur le bateau, polaire, grosse parka jaune offerte à notre arrivée, et enfin gilet de sauvetage.

 

Ainsi « confortablement » équipé, on attend que notre groupe de débarquement soit appelé. Les passagers sont en effet répartis en 6 groupes, afin d’éviter un afflux trop important à la porte de débarquement. Toutefois, cela n’empêche pas certains de faire autrement, soit parce qu’ils sont prêts plus tôt et n’ont pas envie d’attendre d’être appelés, soit parce qu’ils ont pour habitude d’être à la bourre et doivent monter avec un autre groupe plus tard. Mais dans l’ensemble, ça se passe quand même toujours bien.
Quand notre groupe est appelé, en l’occurrence le groupe Gerlache, en l’honneur de cet explorateur belge qui a découvert une partie de la région occidentale de la péninsule Antarctique, on signe pour indiquer qu’on sort du bateau. Et on doit aussi signer en revenant. Cela permet de s’assurer que personne n’a été oublié à terre, ou a volontairement décidé d’y rester. C’est vrai qu’après coup, cela aurait pu être tentant…

 

Enfin, juste avant de monter sur le zodiac et juste en revenant, il y a la procédure de bio-sécurité. Ca fait un peu science mais c’est très important. Cela permet l’environnement de toute intrusion accidentelle d’une maladie ou d’un micro organisme provenant du bateau ou d’un autre site de débarquement et qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur la faune. A chaque débarquement et réembarquement on doit donc nettoyer nos bottes dans une solution de Zircon.

 

Ainsi débarrassés de nos impuretés (terre, sable, poussière, boue, graine…) on peut enfin monter dans le zodiaque qui nous attend en contrebas. Celui-ci emmène une dizaine de passagers vers le site de l’excursion. Généralement, on se rend sur une sorte de plage plus ou moins vaste, avec un point de vue en hauteur et une présence animale remarquable. Et là, pendant trois, quatre voire cinq heures, on est libre d’aller où on veut. Enfin, libres dans la limite du périmètre établi par le staff, et toujours à plus de cinq mètres des animaux, c’est la règle ! Sinon, d’autres fois, on fait juste un tour d’une heure ou deux en zodiaque, en naviguant à proximité de sites exceptionnels.

 

Pour moi, ce sont bien sûr tous ces moments passés hors du bateau qui ont été les plus forts et les plus marquants de notre périple !

 

West Point Island, le premier débarquement

 

A chacun de nos débarquements, la faune locale a été présente, de manière remarquable, dans son milieu naturel : paires de manchots, oiseaux marins en période de nidification, mammifères marins…

 

Je me rappelle notamment de notre premier débarquement, à West Point Island, une petite île à l’Ouest des Malouines. On nous avait juste dit, déjà, qu’il y avait une faune exceptionnelle à observer à cet endroit, mais je ne savais alors pas du tout à quoi m’attendre. J’étais donc impatient de découvrir ce qu’il en serait.
On débarque donc en zodiaque sur une petite plage, avec un peu plus haut une maison entourée de quelques arbres complètement déformés par le vent. Mais point de faune abondante ! On suit un chemin, grimpe en haut d’une petite colline sous une fine pluie et un fort vent, et là, toujours rien. Seulement quelques canards et quelques oiseaux, et beaucoup de parkas jaunes cheminant en file indienne sur les collines verdoyantes. Puis après 45 minutes, on commence à apercevoir la mer, de l’autre côté de l’île. Je me dis que les 2-3 oiseaux qu’on voit au loin sont peut-être ce qu’il y a à observer finalement, et commence donc à les regarder de plus près. Mouais, j’y connais peut-être pas grand-chose en oiseaux, mais là c’est quand même pas ouf…

 

Et puis, continuant d’avancer, je vois au bout du chemin le groupe de parkas jaunes arrêté. Peut-être y a-t-il quelque chose à voir là-bas, sur le flanc de colline redescendant vers la mer, du côté opposé à celui où nous avons débarqué ? On s’approche donc aussi, et là, au milieu de hautes herbes, sur les parties rocheuses dégarnies, quelques albatros en train de couver ! Ouf, me voilà soulagé. Envolée la perspective d’un premier débarquement décevant !

En continuant d’avancer au milieu des hautes herbes, on découvre de plus en plus d’albatros assis sur leur nid de pierre, protégeant qui son œuf, qui son tout petit. Et tiens, c’est quoi cet autre oiseau très bizarre au milieu des albatros ? On dirait des manchots, avec une sorte de crête et des yeux rouges… Oh, ce sont des « rockhopper penguins » (gorfous sauteurs) ? Incroyable, ils sont également en train de couver sur les mêmes rochers que les albatros ! Les deux colonies se partagent ce petit bout de terre pour faire naître leurs petits, et la cohabitation semble assez pacifique. Bien sûr chacun défend becs et… becs son espace vital, les quelques décimètres autour de son nid, mais globalement les lieux sont habités par une grande tranquillité.

 

Et nous, les humains en parka jaune, sommes là au milieu des grandes herbes, à quelques décimètres d’eux, à les observer, à les mitrailler de photos, dans leur plus grande indifférence ! Cette première rencontre avec la faune est déjà pour moi un enchantement total. Et les autres débarquements seront encore plus grandissimes !

 

En effet, hormis un débarquement à caractère plus urbain à Stanley, capitale des Falkland, tous les débarquements que nous avons faits ont été autant d’expériences différentes au cœur de la nature. Et encore, à Stanley, nous avons immédiatement décidé avec Sandrine de fuir les bars avec wifi et les boutiques de souvenirs. Car il y avait une réserve naturelle un peu plus loin, que nous avons rejointe en auto-stop ! Et là-bas, nous avons pu faire une chouette randonnée, juste tous les deux, et nous délecter de la présence de quelques oiseaux nidifiant sur les rochers et d’une petite colonie de manchots sur une plage vierge… Enfin pas si vierge que cela, à cause des nombreuses mines disséminées çà et là lors de la guerre des Malouines ! Heureusement que les petits gentoo penguins (manchots papous) sont trop légers pour les amorcer. Mais j’espère qu’il n’y a jamais eu d’éléphants de mer sur cette plage !

 

Pour le reste, je ne passerai pas en revue un à un tous nos débarquements. Sandrine en a déjà bien parlé dans son journal de bord. Je vais plutôt tenter de livrer mon impression sur ces moments forts du voyage, et sur cette faune sauvage qui m’a particulièrement marqué. Mais d’abord, une petite séance National Geographic pour vous présenter les acteurs de ce spectacle vivant !

 

Au cœur du tableau, les manchots

 

Nous avons rencontré sept espèces de manchots en tout, et en avons vus à chaque débarquement. Mais pour moi, le manchot royal, essentiellement présent en Géorgie du Sud, a été le plus remarquable.

Le manchot est un oiseau, mais qui ne sait pas voler. Et il est bien plus à l’aise dans l’eau, où il passe l’essentiel de son temps, que sur terre. C’est pour cela que ses ailes se sont transformées avec le temps en nageoires. Et comme tous les oiseaux, il doit venir sur terre pour pondre un œuf et couver son petit. En Géorgie du Sud, les manchots royaux investissent les plages dès le printemps, afin que leurs petits naissent lors de la période la plus chaude de l’année. Nous avons donc eu la chance d’en voir énormément lors de notre passage, des milliers, parfois plusieurs centaines de milliers sur une même plage, comme à Saint Andrews Bay. Petite particularité du manchot royal : il est le seul, avec le manchot empereur, qui ne construit pas de nid. Il garde l’œuf sur ses pieds, protégé du froid par un repli en bas de son ventre.

En bons parents, les manchots adultes s’occupent tous les deux de leurs petits, pour les nourrir, les tenir au chaud et les protéger. En effet, les caracaras, ces oiseaux rapaces qui survolent les colonies, sont à l’affût de tout œuf ou petit qui serait victime d’un moment d’inattention d’un parent.

 

Au milieu des manchots royaux adultes et de leurs petits, on trouve en plus les jeunes nés l’année précédente. Ceux-ci ont déjà atteint la taille adulte, ou presque, mais ne sont pas encore capables de se nourrir seuls. Alors ils passent leur temps à suivre un de leurs parents, en attendant qu’il lui donne à manger. Les voir ainsi marcher gauchement derrière leur parent, en permanence, est déjà un spectacle en soi. Mais en plus, leur physique les dessert complètement : ils ne ressemblent vraiment à rien ! Ils sont tout recouverts d’un épais duvet marron qui ne leur donne absolument aucune allure comparé au beau plumage noir et blanc de l’adulte, avec sa tâche orange sous la gorge. Mais on a envie que d’une chose, finalement, c’est de se serrer contre ces grosses boules de plumes toutes brunes !

 

Et puis parmi les jeunes, il y a aussi ceux qui muent. Eux, ils sont en train de perdre leur duvet marron. Du coup, il ne leur reste souvent que quelques touffes brunes par endroit surgissant au milieu de leur plumage définitif. Ils donnent vraiment l’impression de vrais zombies manchots, assez effrayants. D’autres fois, il ne leur reste qu’une touffe sur la tête qui descend sur la nuque, comme s’ils arboraient la coiffure d’un Tony Vairelles de la grande époque !

 

Et tous ces manchots se trouvent donc là, sur une grande plage, occupés à leurs différentes activités, ou pas. Certains adultes se réunissent en groupes de trois quatre, donnant l’impression d’un sérieux conciliabule. D’autres marchent fièrement en file indienne, la tête bien droite, ou en se donnant des petits coups de nageoires, genre tape sur l’épaule amicale. D’autres encore restent juste plantés là pendant des heures, debout dans la même position, la tête vers le ciel, ou vers le côté, ou enfoncée sous la nageoire. Et puis il y a ceux qui bossent, ceux qui partent chercher à manger en mer, pour eux-mêmes et leurs petits, et ceux qui reviennent de la mer le ventre plein. Ils marchent là, maladroitement, traversant toute la plage pour rejoindre la colonie. Quel spectacle ! Et nous, on reste ainsi là pendant des heures à les observer, de près ou de loin. Mais jamais à moins de cinq mètres, bien sûr !

 

En tout cas, on s’est beaucoup amusé à leur trouver des analogies avec l’homme, dans leurs comportements à la fois individuel et social. Et c’est vraiment très drôle de les personnifier ainsi, tels de petits hommes tout patauds, mais tellement fiers.

 

La rude vie des jeunes mammifères marins à la plage

 

Sur les plages de Géorgie du Sud, l’été est aussi une période très intéressante pour découvrir les otaries. A cette époque, les petits viennent de naître et commencent à gambader près de leurs mères, qui elles se reposent tranquillement de les avoir mis au monde. Les bébés otaries sont tout mignons, et on a vraiment envie de les prendre dans nos bras, eux aussi.

 

Les mâles, quant à eux, sont déjà repartis en mer, se rassasier après cette période épuisante. Ils doivent en effet d’abord acquérir un territoire, en se battant avec d’autres mâles. Ensuite, une fois vainqueurs, vient le temps de l’orgie avec toutes les femelles présentes sur le territoire gagné. Mais il y a aussi les jeunes mâles encore en rodage, ceux qui sont trop petits pour gagner un combat, les laissés pour compte de la période de reproduction. Eux, après les naissances, restent aussi sur la plage, car cette période n’a pas été si épuisante pour eux… Du coup, ils profitent de ce temps pour s’entraîner au combat, s’exercer à gagner ou défendre un territoire, bien qu’il n’y ait pas la récompense au bout. Mais peut-être, la saison prochaine, seront-ils eux aussi de la fête !

 

Du coup, ces mâles sont un peu agressifs avec tout ce qui passe sur leur territoire fictif, y compris les hommes. On a été poursuivis plus d’une fois par ces jeunes otaries agressives, aux dents plutôt menaçantes. On nous a pourtant expliqué l’attitude à tenir dans cette situation : ne pas paniquer, ne pas courir ou s’enfuir, mais rester là et leur faire peur en faisant du bruit et des grands gestes, à l’aide de pierres ou de bâtons. Bon ça c’est la théorie car nous, à chaque fois, on est partis en courant !

 

En ce qui concerne les éléphants de mer, c’est un peu la même situation que pour les otaries, sauf que les femelles sont déjà reparties en mer avec leur petit pour manger. Il est vrai que mettre au monde un petit bébé d’une quarantaine de kilos, ça doit creuser l’estomac ! A notre arrivée, il ne restait donc que les jeunes mâles sur la plage. Eux doivent attendre plusieurs années avant de pouvoir participer aux combats territoriaux, le temps d’atteindre leur poids de forme, environ 3,5 tonnes ! La catégorie des moins de 3000 kg n’est en effet pas reconnue dans le championnat officiel. Du coup, ils s’entraînent aussi, mais sont beaucoup moins agressifs que les otaries, et ne s’amusent pas à défendre un territoire. Juste un petit combat de temps en temps. Et bien que plus petits que les mâles adultes, c’est déjà très impressionnant !

 

Le reste du temps, ils le passent à dormir au soleil, entassés les uns sur les autres. Et puis, à un moment, il leur prend l’envie de se déplacer. Ils doivent alors traîner leur bonne tonne de graisse sur le sable, à la seule force de leurs deux nageoires avant, car à l’arrière ils n’ont qu’une seule nageoire. L’effort semble terrible car tous les 3 coups de nageoire, soit tous les 1,5 mètres, ils s’affalent sur le sol, reprennent des forces quelques minutes, puis repartent pour 3 nouveaux coups de nageoires. Et gare à ne pas être sur leur passage quand ils bougent, car les éléphants de mer, c’est des tout-droit ! Même si un autre éléphant de mer de plus d’une tonne est sur leur route, ils s’en foutent, ils lui passent dessus. Et quand c’est un tout petit qui entrave le passage, et bien il hurle !

 

Telle est la vie fascinante des mammifères marins l’été sur les plages de Géorgie du Sud.

 

Les oiseaux de passage

 

Dernier élément animal au tableau, les oiseaux. Certains sont là pour manger, c’est le cas des caracaras. Ces rapaces aiment à chasser en couple, pour se faire un œuf ou un petit manchot de temps en temps. Ils passent donc leur à temps à survoler les colonies, à l’affût d’une proie abandonnée un court instant par un parent distrait. Mais des fois, c’est eux-mêmes qui se chargent de distraire le parent. L’un des membres du couple de caracaras va s’en prendre à un adulte, pendant que son compère attrape le petit manchot ou l’œuf. Du vrai travail d’équipe. C’est ainsi que l’on vu à plusieurs reprises des petits manchots s’envoler, attrapés par un caracara.

 

D’autres oiseaux ne viennent pas pour manger, mais pour pondre et couver leurs petits. C’est le cas des albatros et des pétrels, mais aussi des sternes, arctiques ces petits oiseaux blancs, à la tête noire et au bec rouge. Et autant dire que ceux-là, leurs petits, ils les défendent avec ardeur ! Leur espace aérien est même quasi-impénétrable. C’est ainsi qu’à un moment, sur une plage de Géorgie du Sud, nous avons été attaqués par une terne, et ça ne plaisante pas ! Alors que nous marchions tranquillement, nous avons franchi involontairement la ligne jaune. Et notre présence dans cette zone n’était pas du tout du goût de la terne qui y vivait. Alors elle s’est mise à plonger en piqué sur nous, passant à toute vitesse à quelques centimètres de nos têtes ! Ce petit oiseau n’a vraiment peur de rien. Nous sommes donc partis très vite, en courant encore une fois, pour finalement nous retrouver… sur le territoire d’une jeune otarie qui n’était pas contente non plus de nous voir là !

 

La faune sait parfois se montrer persuasive pour empêcher l’homme d’aller où bon lui semble !

 

Le zodiaque, une autre façon de découvrir l’Antarctique

 

Par la présence de grandes plages, les Malouines et la Géorgie du Sud se prêtaient facilement aux débarquements à terre. Mais sur l’Antarctique et sur les îles sub-antarctiques, la donne est différente. La zone est bien plus montagneuse, y compris sur la côte, et quand on arrive à trouver une petite plage où un débarquement serait possible, encore faut-il que la banquise ne soit pas trop dense et l’épaisseur de neige sur la plage assez faible. Du coup, nous y avons fait la moitié de nos excursions juste en zodiaque, à naviguer le long de la côte et autour des icebergs, à la découverte de ce fabuleux continent.

 

Grâce au zodiaque, on peut accéder à une faune plus isolée, plus reculée, et découvrir ainsi des animaux comme le léopard de mer ou le « macaroni penguin », nom donné à cause des deux macaronis jaunes qui lui font office de sourcils. On a aussi pu voir de plus près quelques baleines de Minke, et observer la vie en mer de nos amis manchots et otaries. On se rend ainsi compte que ces animaux, qu’on avait jusqu’à présent seulement vus sur terre, sont bien plus habiles dans l’eau. Leurs déplacements y sont bien plus fluides, rapides et gracieux.

 

Autre point intéressant, leurs comportements sur terre, enfin sur glace, et en mer, sont très différents. Par exemple, en mer, le léopard de mer est un excellent chasseur de manchots. Bon, comme ça se passe sous l’eau, on ne l’a pas vu en vrai, mais on veut bien croire Miko quand il nous le dit. Mais sur terre, on a vu une petite colonie de manchots faire leur vie juste à côté d’un léopard de mer en pleine sieste. Que faisaient-ils là, à quelques mètres de leur plus grand prédateur ? Et bien le léopard de mer ne chasse le manchot que… en mer ! Et donc sur terre, les petits manchots n’ont rien à craindre de lui. La nature est vraiment incroyable !

 

Enfin, en zodiaque, on peut aussi profiter de toute autre chose : les icebergs ! Rien de tel pour les observer de plus près. Et des icebergs, il y en avait un paquet, de toutes formes et de toutes tailles. Naviguer au milieu d’eux, c’est  comme se déplacer dans un monde de blanc et de bleu, d’eau de mer à l’état liquide et d’eau douce à l’état solide. Et puis des fois, le pilote coupe le moteur et nous invite au silence, au milieu des icebergs, à juste regarder cette glace flotter et écouter juste le bruit de l’eau, et rien d’autre. On se serait presque crus dans un autre univers, s’il n’y avait eu le jaune de nos parkas et le bruit des appareils photos pour nous laisser à la réalité.

 

 

Poser le pied en Antarctique…

 

31 décembre. Après une splendide virée en zodiaque le matin au milieu des icebergs de Spert Island, nous débarquons enfin l’après-midi à Portal Point, sur le continent Antarctique. Ca y est ! J’y suis ! Je pose le pied sur le continent, puis me met à genoux et embrasse cette terre qui me fascine depuis longtemps. Je pense à tous ces explorateurs qui, pendant des années, ont cherché à rejoindre ce continent, et à quelle a pu être leur réaction lorsqu’ils y ont enfin posé le pied, après tant d’efforts. Pour nous, il n’y aura pas eu tous ces efforts pour venir jusqu’ici, mais l’émotion est quand même grande. Et avec Sandrine, on reste là quelques heures, à marcher et nous asseoir dans la neige, prendre quelques photos, savourer simplement le plaisir d’être ici.

 

Ce jour-là, le spectacle n’est pas vraiment exceptionnel. Il fait gris, les nuages sont bas, il y a beaucoup de neige et trois-quatre manchots papous au bord de l’eau, qui se déplacent péniblement. Mais on profite de chaque seconde, de chaque pas dans cette neige immaculée. On attend qu’un bout de glacier se détache de la crique en face de nous, pour plonger dans la mer. En vain.

 

 

…observer les manchots…

 

Les autres débarquements, en revanche, ont été vraiment incroyables, tant par la nature que par les paysages. Nos amis les manchots sont en effet toujours là, mais en mode neige et montagne cette fois. Et le spectacle est bien différent de celui de Géorgie du Sud. Les espèces ne sont pas les mêmes non plus : il y a toujours les manchots papous, mais avec eux nous avons les manchots à jugulaire (chinstrap penguin) et les manchots Adélie, à la tête toute noire. Et au contraire des manchots royaux, ces espèces doivent construire des nids pour garder leurs œufs et protéger leurs petits.

 

La construction du nid se fait sur les portions de montagne dépourvues de neige. Et parfois ces zones sont situées très loin et très haut sur la montagne. Pour les manchots qui reviennent de mer, cela leur fait un long chemin à gravir dans la neige pour rejoindre leur colonie. Du coup, à force d’emprunter les mêmes voies, de grands sillons se dessinent sur les montagnes. 30 cm de profondeur, une teinte brunâtre due au krill ingurgité par les manchots : on appelle cela les autoroutes à manchots. La circulation y est parfois un peu chaotique entre ceux qui montent, ceux qui descendent et ceux qui ne savent plus s’ils doivent monter ou descendre. Mais cette autoroute est quand même un bien bel ouvrage, surtout aux abords de la colonie où elle se divise en plein de petites ramification, tel notre réseau routier aux abords d’une grande ville. Et en ville, enfin dans la colonie, le spectacle est aussi au rendez-vous. En effet, les nids se construisent avec de petits cailloux empilés, que les manchots transportent un à un dans leur bec. Un sacré boulot !

 

En plus, les cailloux ne sont pas toujours simples à trouver, surtout quand on est haut sur la montagne. Du coup, les manchots s’adaptent et cherchent au plus près, c’est-à-dire dans le nid du voisin, lorsque celui-ci a le dos tourné. Alors entre ceux qui cherchent à voler des cailloux et ceux qui sont déjà bien installés dans leur nid et qui « crient » sur les voleurs qui rôdent, il y a de l’agitation au milieu des colonies ! Décidément, ces manchots ne cessent de nous renvoyer à nos comportements humains… et à mon passé professionnel aussi !

 

 

…contempler les paysages…

 

Niveau paysages, c’est allé crescendo depuis le 31 décembre. Et en ce 3 janvier, après-midi, nous faisons notre second, et déjà dernier, débarquement sur le continent Antarctique, à Neko Harbour. Et cela se termine vraiment en apothéose, tant le panorama qui s’offre à nous ce jour-là est « absolument extraordinaire ».

 

D’abord, on doit grimper dans la neige une petite heure jusqu’à un promontoire rocheux. La relative longueur de l’ascension associée au cumul des débarquements depuis 5 jours fait que nous nous retrouvons avec seulement une vingtaine d’autres passagers là-haut, encadrés par Fede et Miko, bref la crème ! Et là…les mots manquent pour décrire ce paysage. On reste là à contempler, ne sachant pas où donner de la tête. A notre droite, il y a un magnifique glacier blanc, abrupt, dont certains pans menacent de lâcher à tout instant. En face, il y a la mer, calme, avec notre bateau au milieu et quelques icebergs. Puis au loin, derrière un long nuage blanc, on aperçoit le Mont Français, une grande montagne sur l’île d’Anvers qui s’élève à plus de 2000 mètres. Et à notre gauche, l’autre côté de la baie, toujours des glaciers, des montagnes et des icebergs. Et puis au-dessus c’est le soleil, qui fait briller tous ces éléments. Pour profiter encore plus de la magie des lieux, Miko propose deux minutes de silence. Chouette idée, il est fort ce Miko !

 

Malheureusement, il est des gens pour qui c’est trop demander, et nous n’aurons eu que 30 secondes de relatif silence, c’est-à-dire d’absence de voix humaine. Car le silence ce n’est pas que se taire, c’est aussi arrêter de bouger, de faire des selfies, de prendre des photos, de jouer avec le zip de sa fermeture éclair ou le scratch de sa sacoche. Dommage que certains n’arrivent pas à apprécier ce luxe. On aurait pu y rester une éternité tant c’était beau et puissant, surtout à la fin quand il ne restait plus que nous deux. Mais au final, on ne sera resté que deux heures, juste le temps d’entrer en contemplation et de faire une belle sieste au soleil, peut-être la seule sieste de notre vie sur le continent Antarctique !

 

 

… et repartir

 

Mais voilà, il a fallu retourner sur le bateau. Alors au moment de repartir, j’embrasse à nouveau cette terre, le nez brûlé par le soleil et les yeux embués par la tristesse. Au revoir Antarctique ! Je suis habité par la même tristesse que lorsque je quitte des gens avec qui je viens de partager des moments forts. Mais cette fois, il n’y a personne. Juste une terre, un continent, qui m’a amené quelque chose de différent et d’intense, mais à ce moment-là je ne sais pas encore vraiment quoi, ni comment l’exprimer.
Quelques jours plus tard, dans la baie des Baleiniers de Deception Island, le même sentiment me revient. Cette fois-ci, c’est au moment de quitter mes derniers manchots. Dernier regard vers cette faune si sauvage, si insouciante de la présence humaine. Elle aussi a incarné quelque chose de spécial, d’unique.
Aujourd’hui, je commence à digérer cette expérience extraordinaire, et à comprendre pourquoi tout cela m’a tant marqué.

 

Nous avons débarqué sur des terres habitées seulement par des oiseaux et des mammifères marins, c’est-à-dire des espèces dont le mode de déplacement privilégié est le vol ou la nage. Ces terres sont tellement lointaines qu’il est impossible d’y aller autrement. Ces terres sont tellement extrêmes, froides, sèches, qu’aucun animal terrestre ne peut y vivre en permanence. Cela n’est peut-être plus tout à fait exact en Géorgie du Sud car l’homme y a introduit, involontairement, des espèces non-natives, comme le rat ou la souris. Mais soit.

Ainsi, pour la faune locale, notre présence relève plus de la curiosité, car nous sommes un animal terrestre, donc quelque chose qu’elle ne connaît pas. Et je ne vois pas d’autres endroits sur Terre où cela se passe ainsi. Car nous sommes passés partout ailleurs, et avons laissé notre empreinte, volontairement ou non. Nous avons chassé des espèces, pour leur viande, leur fourrure, leur graisse, leurs os… Nous avons détruit, volontairement ou non, leur habitat, leurs sources de nourriture ou leurs terres de reproduction. Pour d’autres, nous avons aussi pu favoriser leur prolifération, en leur fournissant, volontairement ou non, de nouvelles sources de nourriture ou des terres plus favorables à leur expansion. Bref, partout ailleurs, l’homme a eu une influence sur l’animal, et cela induit différents comportements chez celui-ci lorsqu’il nous rencontre : l’attaque, la fuite, l’attachement…

 

Mais en Géorgie du Sud, ou en Antarctique, nous ne sommes rien de tout cela, nous sommes quelque chose de nouveau, ni dangereux, ni amical. Du coup, nous pouvons observer les animaux dans leur plus pur état sauvage, sans provoquer ces comportements par notre présence. Et donc quand nous sommes là, ils continuent de vivre leur vie tranquillement, comme si de rien n’était. Parfois un manchot va s’approcher un peu pour voir ce qu’est cette forme qu’il ne connaît pas, mais passera aussi vite son chemin, car nous n’avons aucun intérêt pour lui. Parfois une terne ou une otarie va nous attaquer car nous passons sur son territoire, mais comme elle le ferait avec n’importe quel autre animal. Ils nous rappellent simplement que nous sommes un animal comme les autres, que nous faisons partie de la nature, que nous ne sommes pas au-dessus d’elle. Nous devons faire preuve d’humilité face à la nature.  L’homme n’est pas tout puissant face à elle, et l’Antarctique est là pour nous le rappeler.

 

Je repense aussi aux mots de Miko quand on lui demandait ce qu’il retenait de ce voyage. Il a répondu : « Moltke Harbour, la seule fois où l’on n’a pas pu débarquer, car les conditions étaient trop mauvaises. Nous avons été tellement chanceux tout au long du voyage que nous avons pu débarquer partout où nous voulons, sauf à Moltke Harbour. Ce jour-là, la nature nous a rappelé qu’elle était la plus forte. »

 

C’est effectivement ce que je vais retenir de ce voyage. Que nous avons eu la chance d’avoir été les invités d’une nature exceptionnelle partout où nous sommes passés, que je me suis senti tout petit face à cette faune et ces paysages grandioses, et que c’est la nature, et non l’homme, qui a rendu ce voyage si unique.



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