Les Anges de la Ruta 40
PubliÉ le Catégories : Argentine, Chili. Tags : autostop, rencontre, roadtrip.
Le difficile retour au monde « civilisé »
Ca y est, le bateau est à quai, la ville d’Ushuaia vient se rappeler à notre bon souvenir…ou pas. Il fait gris, il pleuvine. Ce formidable voyage en Antarctique est à présent derrière nous, et il faut désormais se replonger dans le monde dit « civilisé ». Heureusement, on avait un peu préparé cela avant de partir, donc on a la chance d’avoir déjà un hostel à Ushuaia, et un bus pour Punta Arenas le lendemain. C’est ça de moins à se soucier, à se galérer dans cette ville.
On pose le pied à terre, euphoriques, ce 7 janvier au matin. Envie de partager cette immense joie que nous a procuré notre expédition, de lancer des « Bonne année » à tout va, de prendre des nouvelles de nos proches, on a le sourire jusqu’aux oreilles. Et puis on se connecte à Internet. Ca commence à parler de Charlie Hebdo, il est à peine midi en France. On ne comprend pas tout au début mais l’euphorie retombe vite, de l’autre côté de l’Atlantique il fait noir, très noir. En tout cas le choc est violent après ce monde si pur que nous venons de quitter.
Dans le bus pour Punta Arenas, on retrouve Colin, l’un des copiaules de Benoît sur le bateau, un sympathique réalisateur sud-africain. On réfléchit aussi à ce qu’on veut faire dans les jours qui viennent, car notre seul impératif est d’être à San Rafael le 25, c’est-à-dire plus de deux semaines après.
L’Antarctique nous a tellement nourris au niveau des paysages, de la nature, du calme, que l’on n’a pas vraiment envie de repartir de suite vers des sites époustouflants. De peur de ne pas en profiter assez. De peur de ne pas avoir le temps de digérer notre croisière, aussi. On a plutôt envie d’autre chose, de prendre le temps d’être avec des gens, de faire des rencontres. Car sur ce point, l’Antarctique nous a un peu laissés sur notre faim.
En arrivant à Punta Arenas, on a donc un plan en tête : retrouver la petite auberge familiale de Samuel avec qui nous avions passé de bons moments un mois auparavant.
On lui avait écrit avant de partir sur le bateau pour réserver une nuit, mais nous ne nous étions pas entendus sur le prix. Il nous avait dit OK, mais avec un tarif bien plus élevé que la fois précédente. On lui avait demandé pourquoi le prix avait changé, et depuis ce mail, plus de nouvelles. En arrivant devant sa porte, à 21h30, on ne sait donc pas trop ce qu’il en est de notre réservation. On frappe, on sonne à la porte, mais rien. Tout semble très calme, trop calme. Dix minutes après, un voisin arrive et nous indique que Samuel a déménagé, à une centaine de mètres de là.
On arrive à sa nouvelle adresse et on découvre une auberge bouillonnante, des gens dans tous les sens. Sa tranquille maison d’hôte familiale est devenue un repère de backpackers ! Quel choc !
Marcela, la femme de Samuel, nous accueille néanmoins à bras grands ouverts, et se rappelle encore bien de nous, plus d’un mois après :
– Oh, Sandrine ! Quelle surprise, que faites-vous ici ? Vous avez réservé ?
– Bah, on ne sait pas trop justement, la situation est un peu compliquée…
– Bon, Samuel va arriver, on verra avec lui, car là on est archi-plein
Quand Samuel arrive, il s’avère qu’il a complètement oublié que nous devions arriver ce jour-là. Et qu’il n’a donc pas de place pour nous ! Notre quête de rencontres en prend un coup, notre fuite des galères aussi !
Nayade, Lisanne et Fabian, pour sortir de la morosité
C’est à ce moment-là que débarque notre premier ange gardien de l’année, Nayade. C’est une amie de Marcela et Samuel, et travaillait dans leur auberge quelques années avant. Spontanément elle nous invite à passer la nuit chez elle. Trop cool ! Nous débarquons donc dans sa petite maison avec nos gros sacs et notre nostalgie d’Antarctique. Mais une bouteille de rouge plus tard, Nayade nous emmène danser dans un pub chilien avec Judy sa coloc’, Nirvana la fille de Samuel et Oscar son copain. Une rencontre généreuse et enthousiaste pour nous faire découvrir, jusqu’à 3h du matin, les coutumes festives locales (danses, cocktails…) et nous sortir de notre morosité post-Antarctique.
En rentrant, Oscar nous informe que le lendemain il y a une sorte de « Beerfest » qui démarre à Punta Arenas, et qu’il y sera présent pour vendre des saucisses. Chouette alors, après le Festi-bière de Québec, on va pouvoir participer à la seconde édition du Beerfest de Punta Arenas !
En plus, le jour du festival, on rencontre un couple d’allemands à l’auberge, Fabian et Lisanne. On leur propose donc de se joindre à nous pour cette petite fête. Quoi de mieux que deux allemands pour aller à une fête de la bière ?
La soirée avec eux est fort sympathique, mais le festival est des plus modestes : seulement trois tentes où exposent en tout 7 ou 8 brasseries. L’hippodrome où se tient l’événement apparaît fort dégarni. Peut-être est-ce aussi l’effet du difficile été austral, avec un vent froid et violent qui souffle en permanence sur la péninsule ? Toujours est-il que ces nouvelles rencontres nous requinquent un peu pour la suite de notre route, à Puerto Natales.
Alexis, Sigolène et la difficile question du Torres del Paine
Un bon mois après notre première rencontre, alors que nous partions rechercher un bateau pour l’Antarctique, nous retrouvons Alexis et Sigolène à Puerto Natales. On avait hâte de les revoir, et de pouvoir échanger nos impressions sur l’Antarctique avec eux. Car eux aussi ont visité ce continent avec leur petit voilier, pendant 3 mois, il y a quelques années. Et ils sont rentrés forcément marqués par cette expérience. Notre échange avec eux est très riche, encore une fois, et semble faire du bien à tout le monde. A nous d’avoir pu exprimer notre ressenti sur l’Antarctique avec des gens qui l’ont connu, et à eux d’avoir pu se remémorer leur voyage là-bas à travers nos récits.
Le même soir, dans un petit restaurant, nous nous asseyons à la table de Mario, un chilien qui dînait tout seul. Mario est parti de Santiago quelques jours auparavant pour réaliser un documentaire sur le bonheur. Il va ainsi voyager pendant quatre mois du Sud au Nord de son pays, à la rencontre de chiliens pour les questionner sur le bonheur, leur bonheur, leur conception du bonheur. Pour chaque ville il a choisi de rencontrer ici un pompier, là un infirmier, là un agriculteur, un retraité, etc. D’ici la fin de l’année, il aura achevé son beau projet et produit son documentaire intitulé « La ruta de la Felicidad » . Décidément, nous rencontrons un paquet de gens intéressants depuis notre descente du bateau !
Puerto Natales c’est aussi le point de départ pour aller visiter le magnifique parc de Torres del Paine. On a beaucoup hésité à y aller. Car pour en profiter pleinement, il faut y consacrer au moins 5 jours et faire le fameux treck W. Ca fait beaucoup, et on ne se sent pas de s’investir autant dans quelque chose après l’Antarctique, qui est encore bien présent dans nos têtes. On a aussi regardé si on pouvait y aller moins longtemps. C’est possible, bien sûr, mais c’est quand même dommage de n’en visiter qu’une partie. Et puis le transport et l’entrée sont relativement chers, raison de plus pour y rester longtemps. A force d’hésiter, les jours défilent, et il commence à être temps de partir vers l’Argentine. Du coup, on n’est pas allés au Torres del Paine.
En route vers San Rafael, en auto-stop
C’est donc par un froid et venteux matin d’été que nous nous sommes élancés vers l’Argentine. Direction San Rafael, dans la province de Mendoza, à près de 3000 km plus au nord. Ca fait une bonne route, surtout en auto-stop ! Pour parcourir un tel bout de chemin, on s’est donc laissés 10 jours. 10 jours d’incertitude, d’attente, de galères mais aussi de rencontres, de surprises.
Et surtout 10 jours sur la route 40, une route mythique. C’est celle qui traverse toute l’Argentine, depuis la frontière chilienne tout au sud sur la côte Atlantique jusqu’à la frontière bolivienne tout au nord. 5000 km de paysages magnifiques et très diversifiés. En cette période de haute saison, on risque de voir passer du monde sur cette route, des voitures, des camions, mais aussi de nombreux autres auto-stoppeurs. Ca va être long, ça va être difficile, mais définitivement on a envie de tenter cette aventure !
Et tout commence plutôt bien. Nous trouvons rapidement quelqu’un qui nous emmène depuis Puerto Natales jusqu’à la frontière chilienne. Sur la route, on aperçoit même au loin les tours du Torres del Paine sous un soleil radieux. Ca semble majestueux, en effet ! Définitivement, il faudra qu’on y revienne un jour !
C’est après les formalités de sortie du territoire chilien que ça a commencé à se pimenter un peu. A la barrière du poste-frontière côté chilien débutent sept kilomètres de piste de gravier jusqu’au poste-frontière côté argentin. Et ce no man’s land n’est pas le passage privilégié des automobilistes, qui souvent préfèrent emprunter une autre route un peu plus au sud. Cette voie sert essentiellement aux personnes qui viennent d’Argentine pour aller directement au parc Torres del Paine, le plus souvent par des navettes au départ d’El Calafate. On croise quelques rares véhicules qui refusent de nous emmener, et les chauffeurs des navettes qui rentrent à vide en Argentine nous expliquent qu’ils n’ont pas le droit de nous prendre, ils doivent présenter des listes de passagers qui entrent ou sortent du pays, bla bla bla… Super !
Puis un allemand arrive à pied à la frontière, avec un énorme sac. On discute un peu, et lui décide d’aller à pied en Argentine, avec ses 40 kilos sur le dos. On hésite à le suivre, on le voit s’éloigner, galérer sur la piste balayée par le vent. Finalement on décide de continuer à attendre. 7 km avec nos sacs lourds, et ce vent, on ne le sent pas trop.
Fernando et le minibus du bonheur
Et puis quelques minutes plus tard, l’ange gardien Fernando apparaît.
Fernando est un de ces chauffeurs de minibus qui est venu déposer ce matin un groupe de touristes d’El Calafate, et il rentre avec son véhicule vide. Il s’arrête à notre hauteur, alors qu’on ne l’avait même pas vu, et nous propose de nous emmener jusqu’à El Calafate, la première grande ville argentine sur notre route. Chouette ! On prend donc place dans le minibus, à l’arrière.
En croisant l’allemand à pied quelques minutes plus tard, il s’arrête aussi pour le prendre. L’allemand s’installe à l’avant. Dans sa grande générosité, Fernando nous propose aussi à boire et à manger. Sympa le mec !
On passe la frontière argentine tous les quatre, sans encombres. Comme quoi les autres chauffeurs nous ont raconté n’importe quoi.
On s’arrête dans une station service, et au moment de repartir, un couple de hollandais se pointe et demande à Fernando s’il peut les emmener un peu plus loin.
– Bien sûr, je vais à El Calafate, montez !
Quelques mètres plus loin à la sortie de la station-service, deux autres auto-stoppeurs attendent également. Bien sûr Fernando s’arrête pour les prendre. Il s’avère qu’ils sont aussi hollandais, amis des deux autres, et voyagent donc en fait à quatre.
Nous voilà ainsi à 7 auto-stoppeurs dans ce minibus du bonheur !
Le problème dans ce minibus, c’est que personne ne veut réellement aller jusque El Calafate. Tout le monde veut continuer sa route vers le Nord sur la route 40, et donc se faire déposer au croisement 30 km avant El Calafate.
Dans ces conditions, nous, on hésite. On se dit que si tout le monde descend au même endroit pour continuer le stop, ça va être la galère pour trouver un véhicule ensuite. Alors on la joue au bluff, genre convaincus : nous c’est sûr, on descend à la route 40. Peut-être que les autres se diront aussi que ça va être dur et décideront de descendre ailleurs.
Bon, notre bluff n’a pas du tout marché ! Et on est tous descendus au même endroit…
Et là, en plus, on découvre qu’il y a déjà 3 chiliens qui font du stop pour aller aussi vers le Nord. On est donc 10 auto-stoppeurs au croisement d’une petite route. On n’est pas au bout de nos peines !
En bons joueurs, on se poste derrière les Chiliens, ils étaient là avant. L’allemand, lui, se décide à partir plus loin à pied. Visiblement, il aime bien marcher, mais là on est quand même au fin fond de la Patagonie, et il n’y a rien sur 70 km ! Pas même une maison. On ne le reverra plus.
Les hollandais, eux, ont l’air d’abandonner car on les voit partir tous les quatre dans une voiture en direction d’El Calafate. Les chiliens trouvent aussi leur véhicule pour le nord un peu après, ce qui nous laisse tous seuls à ce croisement. C’est plutôt pas mal.
Quelques rares véhicules passent, l’heure tourne. Des gens à l’arrière d’une voiture nous font des grands signes en passant. Puis encore d’autres. Merde, c’est les hollandais ! Ils ont dû se faire déposer plus loin sur la route d’El Calafate, et repartir dans l’autre sens, repositionnés en amont de tout le monde. Sale coup !
Nous, après 3 bonnes heures d’attente au même endroit, on se résigne à rentrer sur El Calafate pour passer la nuit.
El Calafate, 1er échec !
Du désespoir à l’euphorie
Là-bas, les désillusions se poursuivent. Notre petite auberge où nous avions pris nos quartiers en décembre affiche complet, et le prix est comme par magie passé de 60 à 100 pesos. On finit dans le premier hostel qu’on trouve, dans une chambre riquiqui, à 150 pesos. Les prix de la pizzeria d’à côté ont grimpé eux aussi. Entre la saison haute et l’inflation galopante en Argentine, on n’est pas aidés !
Après une courte nuit, on se lève tôt pour aller se placer en premiers à la sortie de la ville. Cette fois, on ne se fera pas avoir ! Mais on croise deux français sur la route, déjà installés avant nous. On se positionne plus loin à un rond-point, et on voit défiler les auto-stoppeurs qui avancent à pied vers la sortie de la ville. Tout ce monde, ça promet !
A un moment, on voit passer une voiture de Canadiens. Oh, c’est un couple de Canadiens qui était sur le bateau en Antarctique avec nous. On a même dîné une fois avec eux. On les regarde, ils ne s’arrêtent pas. Je fulmine.
Après une bonne heure et demi d’attente, deux chiliennes s’arrêtent finalement. Elles vont à Perito Moreno.
– Perito Moreno, la ville ?
– Oui oui !
Enorme, c’est à 600 km vers le Nord ! Mais une fois en voiture, elles paraissent bien plus incertaines. Nous aussi. C’est bizarre que ces deux femmes chiliennes un peu paumées aillent si loin, dans cette ville peu connue, avec seulement un petit sac dans le coffre. Le problème en Patagonie, c’est qu’il y a plein d’endroits qui s’appellent Perito Moreno, dont le fameux glacier à l’Ouest d’El Calafate. Elles s’arrêtent à la sortie de la ville pour demander à la police la route du Perito Moreno.
– Le glacier ?
– Oui, le glacier.
Noooooon ! Elles vont au glacier, c’est à 80 km à l’Ouest, c’est pas du tout notre route !
Du coup, on descend de leur voiture. On est à la sortie de la ville et il y a déjà 3 groupes d’auto-stoppeurs qui attendent là. Finie notre bonne place du matin, on s’est levés tôt pour rien. Les premiers seront les derniers. Grosse lose !
A cet endroit, le défilé des voitures est incessant. Les auto-stoppeurs devant nous trouvent leur bonheur. Nous non. D’autres arrivent sur place vers midi, dont les deux français croisés le matin. A 14 heures, on est 10 auto-stoppeurs à cet endroit, nous en tête. Mais rien ! Les français désormais derrière nous craquent, et décident de rentrer en ville voir s’il y a un bus. Nous les imitons un peu plus tard, après 6 heures d’attente !
El Calafate, 2ème échec !
Les prix des bus sont ahurissants, encore plus chers que le mois d’avant. Mais on n’a aucune envie de rester une nuit de plus dans cette ville, et de recommencer la même attente le lendemain. On fait plusieurs fois le tour des compagnies de bus, on hésite, et on finit par tenter un coup de poker. On a une mauvaise main, mais on paie quand même pour voir la prochaine carte. On jette notre dévolu sur le bus le moins cher pour quitter la ville. Celui-ci nous dépose à la Leona, à 80 km d’El Calafate.
Le problème de la Leona, c’est qu’il n’y a rien. Ou presque. Juste une ancienne estancia transformée en hôtel-restaurant pour les voyageurs. Une fois sur place on découvre que les prix, encore une fois, sont exorbitants. La solution la moins chère pour dormir à l’abri du vent de Patagonie, car nous n’avons pas de tente, reste le couloir des sanitaires, où nous pourrons déposer nos matelas moyennant 100 pesos (7 €), chacun ! Quel scandale ! On nous informe également qu’elle ferme à 21 heures. Il est 20h30, on a donc une demi-heure pour se décider.
On fait le point sur la situation. L’estancia a visiblement quelque chose en main, elle nous a relancé de 200. C’est cher, on n’a pas beaucoup de jetons, on n’a rien en main et il va faire nuit sous peu. Reste le bluff.
Tapis !
On va faire du stop jusque 21 heures, voir les cartes qui sortent. S’il n’y a rien, on aura tout perdu et on dormira dans les toilettes.
Un premier véhicule arrive, il semble ralentir à notre hauteur ! Ah non, il tourne à l’estancia. Ca aurait été trop beau…
Un second véhicule arrive, il semble ralentir à notre hauteur. Oui, il s’arrête !
Le chauffeur nous demande un peu circonspect où nous allons à cette heure là.
– Bon, nous on va jusqu’à San Rafael, mais là on cherche juste à avancer un peu et passer la nuit dans la prochaine ville.
– Moi je vais à Bariloche, si ça vous dit, montez.
Là, on n’y croit pas ! Il va à Bariloche, à 1400 km de là, toujours sur la fameuse route 40. Le lift de notre vie.
Quinte flush royale à la river !
Dirk, deutsche Qualität
Ce sauveur inespéré s’appelle Jack. Enfin c’est ce que j’avais compris. Pour Sandrine, il s’appelait Dirk. C’est elle qui avait raison.
Dirk est allemand et travaille comme guide en Patagonie. Avec ses longs cheveux clairs, il ressemble à René, l’allemand hippie du camping d’Ardèche où j’allais il y a quelques années. Il vit avec sa femme argentine et ses enfants à Bariloche. Et là, il venait d’accompagner un groupe de 4 personnes de Bariloche à El Calafate, et faisait le chemin du retour, seul. Il avait vu deux auto-stoppeurs à la sortie d’El Calafate, mais ils ne l’ont pas vraiment inspiré. Il se disait qu’un peu de compagnie pour cette si longue route ne serait pas de trop, pour discuter, pour préparer les sandwichs et le maté.
Et puis il nous a vu, on avait de bonnes têtes, et il était tellement surpris de nous voir faire du stop là, au milieu de rien, à la tombée de la nuit, qu’il a décidé de nous emmener et de nous embaucher. Nous voilà donc partis pour un bon bout de chemin avec ce personnage. Par contre il nous prévient, il veut rentrer vite, donc on ne fera pas beaucoup d’arrêts.
Le début de la route 40 est particulièrement difficile. Il y a encore de longues portions sans asphalte, tout en gravier. Ca secoue pas mal, ça fait beaucoup de bruit et de poussière, et on excède pas les 40 km/h. Rouler la dessus est vraiment épuisant. Mais on a de la chance car aujourd’hui, il n’y a plus qu’une centaine de kilomètres de pistes, contre 900 (!) il y a seulement quelques années.
Après 4 heures de route, on s’arrête dans la première ville pour dormir tous les trois, sur un parking de station service. On aperçoit les français qui faisaient du stop avec nous à El Calafate. Alors comme ça eux aussi ont réussi à décoller de cette maudite ville. On est content pour eux.
Dirk prend la banquette arrière de son Peugeot Partner, nous deux les sièges avant. Et après une bonne nuit de 6 heures, quoiqu’un peu frisquette, nous repartons sur les routes de Patagonie, asphaltées cette fois.
Dirk nous embauche à la préparation des sandwichs et nous apprend à faire le maté, cette infusion d’herbes extrêmement répandue en Argentine. De son tour, il a quelques restes de nourriture alors c’est lui qui régale, pendant tout le trajet ! Et nous on gère la logistique et la cuisine. Comme ça il peut manger, boire et continuer d’avancer sur la route. Il nous avait prévenu, avec lui on n’allait pas traîner.
Nous ça nous va bien, et on ne cesse de discuter avec lui pendant tout le trajet, en espagnol. Son accent allemand facilite la compréhension. En bon guide, il nous apprend également un tas de choses sur tout ce que nous voyons, ce qui fait passer le temps un peu plus vite.
Car la route 40 est vraiment interminable, surtout dans le Sud de la Patagonie. On roule à travers la steppe patagonienne, un immense désert de pierres et de hautes herbes vert-jaunes. Et quand on voit des arbres, c’est qu’il y a une estancia. On croise de nombreux guanacos, une sorte de petit lama, et des nandous de Darwin (« choique » en espagnol), un oiseau proche de l’autruche. Et tous les 100 ou 150 kilomètres, un village. Enfin, un groupe de quelques maisons avec une station-service où l’on trouve tout ce qu’il faut.
Sur les 1000 premiers kilomètres de route, on se rend vraiment compte de l’immensité de la Patagonie. Un paysage constant de steppe, avec quelques reliefs que l’on arrive parfois à distinguer à l’Ouest : la cordillère des Andes. Un territoire vaste comme la France métropolitaine mais peuplé de seulement 830 000 habitants. Quelle région incroyable !
En approchant de Bariloche, dans les derniers 300 km, les paysages commencent enfin à changer, les villages à se rapprocher. On arrive dans une province plus montagneuse mais surtout beaucoup plus verte. Il y a plein de rivières, de lacs et de grands arbres. Les touristes viennent d’ailleurs en masse dans ce coin, en été pour profiter d’un peu de fraîcheur et d’un cadre agréable près des lacs, mais aussi en hiver pour faire du ski.
Après 14 heures de route le deuxième jour, Dirk nous dépose en début de soirée à Bariloche. On aura passé en tout 24 heures avec lui, dont 18 à discuter en espagnol, et lui aura roulé 1388 km à pieds nus.
On ne sait comment le remercier après tout ce qu’il a fait pour nous, et les bons moments partagés ensemble.
Il nous dit tout simplement : « La meilleure façon de me remercier sera, quand l’occasion se présentera, d’accepter à votre tour d’aider quelqu’un d’autre » …
Bariloche en haute saison
Après cette superbe rencontre conclue sur ces belles paroles, nous nous mettons en quête d’un hébergement à Bariloche. Le problème, c’est qu’on est samedi soir, en plein mois de janvier, c’est-à-dire en pleine haute saison. Et tous les hôtels affichent complet. Sauf dans une petite rue, où une pancarte indique « hay lugar » (« Il y a de la place »). On se dit qu’un rigolo a dû enlever le « No » au début de la pancarte, mais on sonne quand même. Une vieille dame ouvre timidement la porte :
– Bonjour madame, nous cherchons une chambre pour cette nuit…
– Vous êtes israéliens ?
– Non…
– Parce qu’il me reste un appartement pour quatre personnes, mais il y a une famille à côté avec des enfants, et je ne veux pas avoir de problèmes. On en a déjà eu avant, et…
– Non, non, rassurez vous. On est français. On est très fatigués et on veut juste dormir.
Son mari est encore plus méfiant. Un couple d’Argentins, Carlos et Claudia, arrive à ce moment là. Ils cherchent également une chambre. Leur âge et leur nationalité rassurent les propriétaires, et nous finirons par partager l’appartement disponible avec eux. Sympas, ils prennent même le lit superposé pour laisser le lit double aux invités de leur pays, comme ils disent.
Grâce à l’efficacité de Dirk, on a aussi un peu de temps devant nous, donc on décide de rester deux jours pleins à Bariloche, pour profiter des magnifiques environs, faire une randonnée dans les montagnes au milieu des arbres et goûter la douceur des plages bordant les lacs alentours, le tout sous un superbe soleil d’été. L’eau n’était pas bien chaude dans ce joli lac turquoise, mais après le polar plunge en Antarctique on a quand même bien apprécié une petite baignade.
Seul inconvénient, en cette période de vacances, il y a beaucoup beaucoup de monde (on l’a déjà dit ?), des Argentins bien sûr mais aussi des Uruguayens, des Brésiliens, des Chiliens et bien sûr des backpackers. Du coup, les transports sont surchargés, les hôtels bondés, les prix très élevés, etc. Mais il y a un autre effet collatéral, un peu plus inattendu, c’est qu’il est, paradoxalement, beaucoup plus dur de faire du stop !
Nous quittons cependant Bariloche relativement facilement pour Villa la Angostura, une autre ville touristique de cette belle région, au début de la splendide route des 7 lacs. Là, c’est un flot continu de véhicules. On revoit notamment Dirk passer dans sa camionnette chargée de touristes. Mais personne ne daigne s’arrêter. En plein soleil, face à cette file de voitures qui nous ignore, notre peau brûle et au bout de 4 heures, nos nerfs craquent, surtout les miens.
On finit par prendre un bus pour quitter cette ville. On espère encore faire un coup façon « La Leona », en allant faire du stop au milieu de rien. Mais cette fois ça ne marche pas si bien. Un couple nous emmène d’abord à un croisement un peu plus loin où, manque de pot, attendent déjà deux autres auto-stoppeurs. Puis deux autres arrivent encore. Pour tuer le temps, Sandrine commence à me couper les cheveux, au milieu de la route. Je commençais à en avoir bien besoin. La difficulté étant de pouvoir s’arrêter à n’importe quel moment si une voiture nous prend, tout en me laissant une tête présentable…
C’est seulement vers 19 heures qu’une camionnette s’arrête enfin pour prendre les deux premiers auto-stoppeurs. Puis elle s’arrête ensuite à notre hauteur. Serait-ce un nouveau minibus du bonheur…
Luis, l’opportuniste
Eh bien, pas tout à fait… Luis, appelons-le ainsi, est plus un opportuniste qu’un altruiste. Il ramasse les auto-stoppeurs le soir sur la route de San Martin de los Andes, mais leur fait payer la course 50 pesos (3,5 €) chacun. Le prix est correct, malgré tout, donc on accepte. Et avec 6 auto-stoppeurs ce soir-là, Jorge a tout gagné. Il peut même aller se faire un petit resto avec sa femme !
Par contre, San Martin est, là encore, une ville ultra-touristique et ultra-bondée à cette période de l’année. On tente d’abord de poursuivre en stop pour aller jusqu’à une autre ville plus loin, plus calme. Mais, fatigués, on n’y croit pas trop et abandonnons vite. On tente de prendre un bus jusqu’à la ville suivante, mais il passera devant nous sans s’arrêter. Et comme les hébergements affichent tous complet, nous finissons notre journée au terminal de bus. On prend alors un billet pour Zapala, histoire d’en finir une bonne fois pour toute avec cette zone surchargée de monde. Pour le stop, on se dit qu’il vaut mieux être sur une route où il n’y a personne, finalement !
Raphael, Iraida et les forçats de la route 40
A Zapala, on est de retour au milieu de rien, loin des touristes. Et paradoxalement, c’est dans ces villes où pas grand monde ne passe que le stop marche le mieux. En 2 lifts, nous arrivons à Chos Malal, une ville perdue dans une province aride et montagneuse. On cherche un coin d’ombre sur cette route, histoire de ne pas finir complètement cramés et desséchés. Ca tombe bien, il y a une petite guérite, où deux auto-stoppeurs attendent déjà : Raphael, un français de Haute-Loire, et sa femme Iraida, russe. Ils sont là depuis plus de deux heures… Aïe, on se dit que ça va encore être une longue journée. Mais finalement, la chance nous sourit et, successivement, deux pick-up nous prennent tous les 4 et nous emmènent jusqu’à Barrancas, à la frontière de la région Patagonie. De l’autre côté du pont, c’est la province de Mendoza, où se trouve notre destination finale, San Rafael. On n’a jamais été aussi près du but !
A hauteur du pont, il y a aussi une petite maison avec quelques arbres. Trois hommes y résident. Enfin, ils y travaillent, mais ça ne se voit pas trop. Leur mission : contrôler tous les véhicules qui viennent du Nord du pays, où sévit un parasite qui n’est pas encore arrivé en Patagonie. Ce parasite est notamment présent sur les produits alimentaires frais (fruits, légumes et autres denrées périssables). Alors tels leurs redoutables confrères chiliens du SAG, ces hommes doivent empêcher tout produit alimentaire susceptible de porter ce parasite de rentrer dans cette région encore préservée d’Argentine.
La difficulté pour eux à ce « poste-frontière », c’est que le trafic y est particulièrement dense : environ 5 véhicules par heure, aux heures de pointe. Il faut donc se répartir le boulot : l’un a en charge de contrôler les fruits et légumes dans les voitures, l’autre s’occupe des camions de produits alimentaires, hors fruits et légumes. Quant au troisième homme, sa mission est toute autre : il anime le bureau de l’office du tourisme à cette frontière, pour les nombreux touristes qui s’y arrêtent. Dur labeur.
Malgré la lourde tâche qui leur incombe, ces hommes nous accueillent à bras ouverts dans cette petite maison, où nous avons pris nos aises à l’ombre des arbres. Lorsqu’un véhicule arrive pour aller vers le Nord, l’un de nous 4 court pour aller faire du stop. Lorsqu’un véhicule arrive dans l’autre sens, ce sont nos valeureux agents qui courent pour l’arrêter. Enfin pas pendant l’heure du maté, pas s’ils sont engagés dans une conversation prenants, pas s’ils font la cuisine, mangent, digèrent…
Du coup Sandrine leur demande pourquoi ils ne contrôlent pas tous les véhicules.
– Si, on doit tous les contrôler, mais bon, euh…
Oui, on comprend, c’est vrai, il y a des moments sacrés dans la journée.
En tous cas, nous passons un bon moment avec eux. Ils sont heureux de pouvoir décompresser un peu avec quelques visiteurs, et nous de faire du stop bien installés à l’ombre, sur une chaise en discutant et en buvant le maté.
Trois heures après notre arrivée, un pick-up surchargé accepte de nous emmener à la prochaine ville. Raphael et Iraida y montent. Nous, on préfère décliner, car il n’y a vraiment plus de place dans la benne. Et puis on n’est pas si mal avec la police des fruits. Il y en aura bien un autre plus tard.
A 20 heures, c’est le moment de la relève. Nos trois compères en ont enfin terminé avec leur harassante journée de travail et peuvent aller profiter d’un repos bien mérité. Mine de rien, ils auront confisqué 5 prunes cette après-midi !
Leurs collègues de l’équipe de nuit, eux, paraissent encore plus stressés. Il est vrai que faire ce travail de nuit doit être encore plus dur. Pour se mettre en jambes, il leur faut déjà une bonne heure avant d’arrêter un premier véhicule. Ca tombe bien, un groupe d’escaladeurs qui voyage en truck arrive.
Après un contrôle minutieux, où une fille du truck s’est vue contrainte de manger sa pomme avant de repartir, on fait plus ample connaissance avec cette nouvelle équipe, autour du maté, et avec plein de moustiques. Ces forçats de la route 40 s’appellent Fabian, Maximo et Samuel, dit Zorro (sic). Quelques véhicules continuent de passer, mais c’est l’heure du maté, ils ont de la chance !
Nous, on commence à se dire qu’on va dormir sur place, et visiblement, ça ne leur pose aucun problème. Mais soudain, à 23 heures, 9 heures après notre arrivée, je crois apercevoir un bus qui arrive au loin, depuis le Sud. Les gars, experts, me disent que c’est un camion. Zorro bondit de sa chaise et court à toute vitesse vers le camion. Le camion est arrêté et Zorro nous fait de grands signes : le chauffeur a accepté, ou peut-être concédé, de nous emmener jusqu’à la prochaine ville. En tout cas, les gars, c’était vraiment sympa de votre part. Merci pour votre aide, et bon courage pour la suite, car c’est vraiment pas un boulot facile que vous faites là !
Agostina, terminus San Rafael
Marcelo, le chauffeur du camion, n’est pas très prolixe. Et la route jusque Malargüe est vraiment très pénible, surtout de nuit. Dommage, car on nous a dit qu’elle était magnifique. Après 4 heures de trajet dont 2 heures sur des graviers, en montée, et plutôt assez mal installés à l’avant de ce camion, nous finissons la nuit à la gare routière de Malargüe. Encore une fois. Au petit matin, nous reprenons le stop, pour ce que nous pensons être l’ultime lift jusque San Rafael.
Bien vu, car Agostina, une jeune femme qui tient sa petite agence de tourisme à San Rafael, accepte de nous y emmener. Trop top !
A la sortie de Malargüe, on passe devant deux auto-stoppeurs dont le visage nous est familier, Iraida et Raphael.
– Vous les connaissez ?
– Oui, oui, ils sont français. On a fait du stop avec eux toute la journée d’hier !
Alors elle fait demi-tour et les prend aussi. On est content de les retrouver, eux aussi ! En arrivant à San Rafael, elle les dépose sur la route à la sortie de la ville, puis se charge de nous trouver un hostel dans la ville, pour nos trois jours d’attente jusqu’au début de notre workaway dans un vignoble du coin.
Décidément nous aurons été suivis par des anges jusqu’au bout.
Au total en 6 jours sur la route, nous aurons ainsi parcouru 2930 km depuis Puerto Natales, dont 2490km en auto-stop dans 13 véhicules différents.
23 février 2015 à 18:55
Bonjour
Cette partie de votre voyage est à mon avis la vrai vie du voyageur avec des imprévues, des rencontres…
Bonne continuation dans votre voyage.
http://reve.de.voyage.pagesperso-orange.fr/
24 février 2015 à 01:41
Bonjour Bruno, et merci pour ton commentaire au bout de ce long article !
Nous nous essayons à différents modes de voyage au cours de cette aventure, et c’est sûr que le stop réserve cette grande part d’aléatoire, propice aux rencontres mais aussi, un peu, aux galères. Mais globalement on s’en est plutôt bien sortis !
Une chose est sûre, nous referons du stop au cours du voyage. Sur un autre continent, dans une autre culture.
Bonne continuation également à Carine et à toi. Quels sont vos prochains projets de voyage, d’ailleurs ?
31 octobre 2015 à 07:08
J’adore la description du pénible travail qu’ils font loool
4 novembre 2015 à 14:21
Je ne me rappelle pas avoir vu ailleurs des mecs avec un job aussi tranquille que ceux-là. Mais on a passé du bon temps avec eux, c’était rigolo, notamment quand la relève est arrivée pour la nuit. On était presque déçus qu’ils nous aient trouvé un lift, limite…