Le festival de l’aigle de l’Altaï
PubliÉ le Catégories : Mongolie. Tags : faune, festival, sport, tradition.
Un homme à cheval
« Mais il est où ce festival, bon sang ! Pas un panneau, pas une indication dans ce petit village. Pourtant on ne doit pas en être très loin. Je suis sûr que c’est même tout près d’ici. Et puis impossible de demander à quelqu’un, ils parlent tous kazakh par ici. Et moi j’y comprends rien à leur bla-bla-bla ! »
Voilà sans doute ce qui devait se passer dans la tête de notre chauffeur Ölzii, alors qu’on tournait dans le village de Sagsai depuis déjà un bon moment à la recherche d’une ger pour la nuit.
Alors Ölzii décide de s’aventurer à l’extérieur du village, en direction de l’Ouest. Quand soudain, un cavalier surgit, au loin, à travers de hauts buissons et semble se diriger vers nous.
Il a fière allure cet homme à cheval. Il est typé et vêtu un peu différemment des Mongols : c’est un Kazakh.
Et après une brève discussion, Ölzii nous annonce qu’il nous invite chez lui pour la durée du festival ! Homme providence.
Au sein d’une famille kazakhe
Nous voici donc arrivés dans notre première ger kazakhe. Un peu planquée au milieu de la végétation, on aurait eu beaucoup de mal à la trouver par nous-mêmes.
De l’extérieur, la ger kazakhe paraît plus haute que la ger mongole, même si l’entrée est malheureusement toujours aussi petite ! A l’intérieur par contre, plus de doute, c’est bien plus haut, et spacieux.
A la différence des gers mongoles, l’ameublement des gers kazakhs est particulièrement minimaliste : un poêle au milieu, une petite table basse dans le fond, deux lits sur les côtés et c’est à peu près tout.
Autre différence notable, la présence d’un seul pilier central pour soutenir la structure, au lieu de deux chez les Mongols. Quant aux affaires personnelles, au matériel de cuisine, etc., tout est simplement posé par terre ou sous les lits. Néanmoins, on garde une impression d’ordre et de propreté.
Du coup, on a pas mal d’espace pour nous et nos affaires, et pour une fois c’est assez simple de nous installer là tous les cinq, dans le fond de la ger.
Autour de la table basse et de l’inévitable thé au lait, on fait la connaissance de nos hôtes. L’homme à cheval se prénomme Baï-Bolat. Il a un jeune frère, Aï-Bolat, qui lui ressemble beaucoup. Quant à la ger dans laquelle nous sommes, c’est celle de leur grand frère, Yeden-Brat. Il vit là avec sa femme et leurs deux jeunes fils.
Baï-Bolat parle un peu mongol, ce qui, par l’intermédiaire d’Ölzii, nous permet d’ébaucher une esquisse de discussion avec l’ensemble de la famille. Il travaille à la ville avec son frère aîné, comme manutentionnaire.
Nous, on tente le coup de balancer quelques mots de turc que nous connaissons, pour voir si ça fait tilt chez nos interlocuteurs. Il paraît que le turc et le kazakh sont deux langues assez proches. Des fois, ils nous regardent un peu interloqués, mais d’autres fois ça passe, et ils sont tout surpris de découvrir que nous connaissons quelques mots de kazakh. En fait, de turc. Amusement linguistique.
Toute la famille est très ouverte et souriante avec nous. Ils n’ont probablement pas trop l’habitude de recevoir ainsi des occidentaux chez eux, si loin d’Oulan-Bator et des zones les plus touristiques du pays. A un moment, Jan et Mariola tentent de lancer un jeu de cartes qu’ils ont appris en Russie. Tout le monde y participe volontiers et on découvre très vite qu’ils savent tous, kazakhs comme mongols, comment y jouer ! Bon, nous on ne connaissait pas, mais on a appris sur le tas. Un bon moyen de rassembler tout le monde le soir dans un contexte ludique. Même la très timide et occupée femme de Yeden-Brat a quitté quelques instants ses tâches ménagères pour se joindre à nous. Pour elle, un moment de divertissement rare et précieux.
Un aigle à l’entrée de la ger
Il reste un détail dont je n’ai pas parlé mais qui a une grande importance : devant la ger de Yeden-Brat attend, attaché et casqué (!), un aigle !
Un aigle tel que celui utilisé par les kazakhs pour chasser, selon une tradition multiséculaire. Un aigle comme on allait en voir beaucoup d’autres le lendemain lors du festival.
Et si nos sympathiques hôtes étaient en fait des chasseurs à l’aigle ? Et s’ils participaient, eux aussi, au festival ?
Bingo !
Et oui, l’aigle devant la ger est en fait celui de Baï-Bolat. Aï-Bolat a aussi le sien, devant une autre ger. Et nos deux compères vont bien participer demain et après-demain aux différentes épreuves du festival de l’aigle de l’Altai.
C’est énorme !
Et ce n’est pas fini : ils nous invitent à assister, en privé, à une petite démonstration des épreuves du festival, une forme aussi pour eux d’ultime entraînement avant les compétitions du weekend.
Alors, formant un petit groupe d’heureux privilégiés, on est partis les suivre vers la montagne. On les a observés s’avancer majestueusement sur leur cheval, dans leur superbe tenue traditionnelle, verte pour Baï-Bolat, rouge pour son frère, portant leur aigle à bout de bras.
Ajoutez à ce tableau le magnifique arrière-plan des montagnes de l’Altaï, et on obtient une scène parfaite pour n’importe quel amateur de photographie !
Et puis les deux frères sont passés à l’action. Au programme, appel à l’aigle, « jeu de la pièce » et simulation de « bushkashi ». Une chouette avant-première au festival de l’aigle de l’Altaï !
L’entrée des artistes
C’est le grand jour : on part enfin pour ce festival que l’on attendait tant. Qui nous avait fait traverser la Mongolie en minivan. Et encore plus après l’entraînement privé de la veille, car maintenant, on a deux champions à soutenir !
A notre arrivée, une petite foule de touristes est déjà là, à flâner devant quelques étals de souvenirs. Dans les quelques gers posées ici et là, on s’active déjà à préparer les soupes, buuz et khushuur qui seront vendus à la pause déjeuner. Dans le même temps, les concurrents arrivent sur les lieux au compte-goutte. On les voit venir de loin sur leurs chevaux, dans leur superbe tenue traditionnelle, tenant fièrement leur aigle à bout de bras.
A noter que les aigles portent en permanence (sauf pendant les épreuves), une sorte de petit casque en cuir noir sur les yeux. A priori, cela les préserve du stress, inhabituel pour eux, de voir une foule s’agiter en permanence sous leur bec.
Après une ou deux bonnes heures (de retard), tout le monde est enfin là pour le début des compétitions. Un jury a été installé sur un côté, avec microphone et sono sur un camion. Des annonces sont en faites par un animateur, en mongol ou en kazakh, on ne sait pas trop. Sans doute à propos du programme des compétitions, mais là non plus on ne jure de rien. On se contente donc de suivre la foule des initiés.
Place aux jeux !
L’appel de l’aigle, le jeu du « serre-moi la pince »
La première épreuve, l’appel de l’aigle, prend place au pied d’une petite montagne. Tous les concurrents sont en haut et attendent là, sur leur cheval. Leurs aigles, eux, ont été attachés à de grosses pierres juste à côté.
Puis, un par un, ils descendent de la montagne (à cheval, oh hé…) et se mettent à appeler leur aigle par de grands cris, en agitant un bout de viande dans leur main. La foule retient son souffle. L’aigle concerné est bien évidemment dé-casqué et détaché, et doit venir se poser directement sur le bras de son maître, et manger son petit morceau de barbaque en récompense.
L’exercice est assez ardu, et rares sont ceux qui y arrivent parfaitement. Déjà, la distance entre le maître et l’aigle est relativement importante, peut-être 100 ou 150 mètres. Il faut donner de la voix pour se faire entendre par son aigle.
Ensuite, parce que le vent souffle fort aujourd’hui, et en plus dans le mauvais sens. On a ainsi vu fréquemment des aigles partir dans la direction opposée à leur maître, perturbés par ce vent. Ce fut le cas, malheureusement, de notre hôte Baï-Bolat. D’autres fois, les aigles sont partis dans la bonne direction mais ont été emportés dans leur élan, les faisant atterrir bien loin de leur cible…
Le lendemain, on a droit à une autre variante de l’appel à l’aigle. Au lieu d’un morceau de viande tenu à bout de bras, c’est cette fois une peau de renard tirée par le cheval qui sert d’appat. Encore plus ardu, car l’aigle doit ensuite venir se poser sur le bras de son maître ! Et, malgré un vent un peu plus clément, le taux de réussite de l’exercice est toujours aussi faible.
Mais ces deux épreuves ont permis de voir à l’œuvre ces magnifiques rapaces, impressionnants tant par leur taille que par leur acuité lors de l’exercice, quand il aboutit. Et puis leur vol est si majestueux. Ces aigles d’une telle envergure, toutes serres sorties, passant juste à quelques mètres de nous, parfois au dessus, nous ont émerveillés !
Par contre, on se demande toujours comment le jury est parvenu à désigner un vainqueur dans cette épreuve !
Le bushkashi, le jeu du « tire à la chèvre »
Après la pause déjeuner, on range les aigles mais on garde les chevaux : c’est l’heure des épreuves équestres.
Et ça commence fort avec le Bushkashi ! Un duel entre deux cavaliers qui se disputent une carcasse de chèvre locale, apparemment une « chèvre bleue », qui semble particulièrement soyeuse, mais aussi bien lourde, bien que l’animal ait été étêté et vidé de ses entrailles au préalable.
Déjà ça met dans l’ambiance.
Dans un premier temps, les deux cavaliers tentent de récupérer la chèvre posée sur le sol. L’exercice demande souplesse, pour aller chercher l’animal par terre depuis son cheval, force, pour arriver à le soulever, et maîtrise de sa monture, parfois effrayée par le sort réservé à la pauvre chèvre.
Une fois la chèvre récupérée par un des concurrents, il s’accroche à une des extrémités pendant que son concurrent vient attraper l’autre. A celui qui arrivera à arracher la chèvre à son adversaire.
A partir de la tout s’accélère. Les deux cavaliers déploient une force énorme pour essayer de faire lâcher l’autre. Et ce qui est surtout impressionnant, c’est qu’une fois la bataille lancée, les deux cavaliers peuvent partir dans n’importe quelle direction, sans regarder où ils vont. Ils utilisent la puissance de leur cheval pour s’éloigner de leur adversaire, en essayant à tout prix de ne pas lâcher la proie. Il n’est donc pas rare que les chevaux courent sur la foule, qui fuit à toute vitesse dans un grand vacarme de poussière.
Notre champion, Baï-Bolat, a participé à la joute la plus longue de toutes. Les deux cavaliers sont partis très très loin, hors de vue du public, pour parvenir à se départager. Et après quelques minutes à nous demander jusqu’où ils avaient bien pu aller, on a vu revenir Baï-Bolat au grand galop, la chèvre fièrement posée devant lui. Bravo l’artiste !
Et là ils faut les voir, les vainqueurs, ramener la chèvre devant le jury, la tête haute, le regard fier, et la jeter par terre d’un signe de défi pour les participants suivants.
Parce que le bushkashi fonctionne sous forme d’un tableau à élimination directe. Quant à notre champion, Baï-Bolat, il a malheureusement dû s’arrêter en quarts de finale, après un autre duel épique !
En tout cas un jeu très impressionnant. Tant par l’idée même d’utiliser une carcasse de chèvre, que par la puissance et la hargne que déploient les cavaliers lors de la lutte.
Le Kyz kuar, un jeu qui fouette
Entre deux tours de Bushkashi, pour permettre aux concurrents de se remettre de leur rude effort, on a droit au Kyz kuar. Une épreuve impliquant un homme et une femme, tous deux à cheval.
Sur une ligne droite d’environ 200 mètres, la femme poursuit l’homme et doit le battre avec un fouet le plus de fois possibles. Rigolo non ?
On nous a expliqués le caractère traditionnel de ce jeu, qui se déroule généralement peu avant le mariage. C’est une manière pour la femme de montrer son autorité et son emprise sur son futur époux. Ainsi, s’il n’est pas un assez bon mari, il saura à quoi s’en tenir… La symbolique du jeu est fort intéressante, surtout dans ces sociétés nomades où le fossé entre les hommes et les femmes est encore bien profond. Et a priori les femmes kazakhes ne sont pas malhabiles dans le maniement du cheval et du fouet !
La course de chameaux, le jeu des mille bosses
Pour le deuxième jour, outre les phases finales du bushkashi et du Kyz kuar, deux autres épreuves sont programmées.
Tout d’abord la course de chameaux, un événement attendu par nombre de touristes camélophiles. Le principe est simple à comprendre, mais c’est, là encore, très impressionnant. Les chameaux sont lancés à pleine vitesse et, dans la confusion, on a assisté à une mémorable chute. « Chute à l’arrière ! » , comme aurait dit Jean-René.
Les deux animaux sont partis à la renverse, et l’un des pilotes s’est retrouvé coincé sous son chameau qui hurlait de panique ! Plus de peur que de mal, heureusement, et il est important de signaler qu’aucun animal n’a été blessé ou maltraité pendant la scène.
En tout cas, le chameau semble quand même être un animal bien moins facile à manœuvrer que le vélo ou le cheval, surtout à toute allure !
Le Tiyn teru, le jeu des courtisans
Enfin, la dernière épreuve, le tiyn teru, autrement appelé « jeu de la pièce« . Traditionnellement six pièces de monnaie, remplacées ici, par des fleurs en plastique, sont posées par terre, régulièrement espacées.
Un par un, les cavaliers, lancés au galop, doivent venir en attraper un maximum au sol. Un jeu qui demande encore beaucoup de souplesse et de dextérité : complètement penchés sur leur cheval, ils doivent d’une main attraper les fleurs, et de l’autre maintenir le cap et la vitesse de leur monture. Encore un jeu bien difficile, où très rares sont ceux qui ont réussi à prendre plus de trois fleurs. Mais là aussi, ça en jette !
Le clou du spectacle
L’événement s’est achevé par un concert de chanteurs et chanteuses kazakhs. Mais surtout, la tradition (ou l’habitude) veut aussi que ce genre de manifestation se termine toujours en baston ! Et on n’a pas échappé aux bagarres.
Parmi les causes probables de des échauffourées, l’alcool que tout le monde s’enfile un peu en douce après la pause déjeuner – même si les Kazakhs sont musulmans -, et le stress et la fatigue de la compétition.
En bons kazakhs, les hommes se battent généralement sur leur cheval. Impressionnant. Des groupes se forment autour des protagonistes, quelques coups sont échangés, puis tout revient dans l’ordre, plus ou moins rapidement.
Néanmoins, on gardera en mémoire ce cavalier particulièrement véhément qui, au cours de son épreuve de bushkashi, a visiblement mal pris une décision du jury. Il a alors foncé, à cheval, sur le vaillant juge qui lui, était juste debout et a fait mine plusieurs fois de le charger avec son cheval, ou de le frapper avec sa cravache. Pas très fair-play tout ça ! Puis la bagarre s’est poursuivie un peu plus loin avec d’autres concurrents, ou spectateurs, éméchés, entraînant d’ailleurs l’arrêt prématuré des compétitions le premier soir.
Le festival de l’aigle de l’Altaï, comme dirait un ami, c’est comme un bon mariage : ça se termine toujours en baston !
On a même craint que cela gâche la fête du deuxième jour, mais il n’en a rien été. Heureusement. Notre concurrent sanguin de la veille a même pu poursuivre le tournoi de bushkashi. Et le gagner ! Dans certains sports, on aurait hurlé au scandale pour moins que ça !
Quelques renseignements pratiques
Il existe deux festivals de l’aigle dans l’Altaï :
- Le « petit » festival, appelé « Altai Kazakh eagle festival » auquel nous avons assisté, qui a lieu à Sagsaï aux alentours de mi septembre. L’entrée est à 30€.
- Le « grand » festival, appelé aussi « golden eagle festival« , qui a lieu à Ulgiy le premier week-end d’octobre. Ce dernier attire beaucoup plus de touristes étrangers et deux fois plus de compétiteurs. L’entrée est à 50€.
Contrairement au grand festival organisé par l’association des fauconniers mongoles, le petit a été créé par l’agence de tourisme BlueWolf et c’est donc grâce à l’argent du tourisme qu’il peut exister. Néanmoins, on sent que c’est avant tout une fête locale où les kazakhs s’amusent entre eux. Les gens viennent en famille (enfin plutôt entre père et enfants car on n’a vu que très très peu de femmes). L’ambiance est vraiment « à la bonne franquette » . D’ailleurs tout démarre en retard et le programme n’est que rarement respecté. Mais peu importe, on se sent immergé dans la culture kazakhe.
Alors oui le premier jour quand on vu la « foule » de touristes se ruer prendre des photos à l’arrivée de chaque participants on a pris un peu peur. Il faut dire aussi qu’il n’y avait que les touristes pour arriver là à l’heure d’ouverture du festival… Mais on est revenu ensuite à un équilibre moitié-moitié assez agréable. Le touriste est facilement reconnaissable à son (ses) gros appareil(s) photos et au fait qu’il se déplace constamment pour avoir LE meilleur spot pour faire la (mille et unième) photo du siècle.
Mais ensuite on relativise, quand on parle de « foule », on parle de moins de cent touristes ! Et d’une poignée seulement le deuxième jour !
Quant aux compétiteurs, ils sont tous du coin et se connaissent, on sent les camaraderies et les rivalités. Avec les touristes ils se prêtent plutôt bien au jeu des photos. Et le midi on s’attable avec eux dans les petites ger-restaurants.
Les aigles sont laissés seuls, attachés sur le bord d’une ger lorsqu’ils ne participent pas à un jeu.
Il n’y a pas de gradins, de barrière, de délimitations. Jury, public, participants, on est tous mélangés. Alors on se sent vraiment au cœur de l’action. On fait attention d’éviter les coups de sabots et on mange de la poussière !
Un festival comme on les aime et qui mérite largement le (petit) détour depuis Oulan-Bator.
Des buuz et des jeux ! La recette du bonheur kazakh.