Brèves Nippones #9 – Vive les gros nippons !
PubliÉ le Catégories : Japon. Tags : culture, spectacle, sport, tradition.
C’était l’un des seuls événements qu’on avait réservé avant même d’arriver au Japon, quelque chose que l’on ne voulait absolument pas rater.
Le Grand Sumo Tournament !
Le seul tournoi de sumo professionnel. Il n’y en a que 6 sessions par an au Japon. Ça se passe tous les mois impairs, pendant 15 jours.
En novembre, le tournoi se déroule à Fukuoka, sur l’île de Kyushu. Les autres mois, ça se passe à Osaka, Nagoya et Tokyo (3 fois), toujours sur l’île de Honshu.
Avec l’aide de Gagou, un ami d’école déjà au Japon, on a pu acheter en avance nos places pour la journée du jeudi, le cinquième jour du tournoi. Un jour de semaine, en début de compétition : c’est moins prisé que les jours de weekend ou de fin de tournoi, et donc plus facile d’acheter des places ! Un peu comme Roland Garros quoi.
On s’est donc pointés tous les trois à 10h30 au Kokusai Center de Fukuoka pour une journée 100% sumo.
L’intérieur du Kokusai Center en configuration sumo
C’est une grande salle polyvalente couverte d’une capacité de 10 000 personnes. A l’entrée, différents stands vendant une nourriture plus chère que la moyenne, et quelques souvenirs liés au sumo.
Puis on entre dans la grande salle. On est placé tout en haut, mais à 10h30 du matin, il n’y a vraiment pas grand monde. Alors on en profite pour se rapprocher temporairement, sur des futons japonais à mi-hauteur.
Mais on ne prend pas le risque d’aller aux meilleures places, tout en bas. Car premièrement, il faut s’y asseoir en seiza (cette position à genoux impossible à tenir). Deuxièmement, parce qu’il y a un risque qu’un sumo nous tombe dessus au cours d’un combat ! Et c’est stipulé sur les billets que l’organisation ne nous couvre pas le cas échéant. Néanmoins, ça doit être assez énorme – c’est le cas de le dire – de vivre les combats de si près !
A mi-hauteur, on a déjà une superbe vue sur la « scène », un petit carré où tout se passe. A l’aplomb de celui-ci, on trouve d’abord un immense drapeau du Japon, surplombant lui-même ce qui ressemble à un toit de maison. Ce serait en fait une représentation d’un sanctuaire shinto, pour rappeler le caractère ancestral, spirituel et quasi-divin de ce sport.
Au sol, on trouve le dohyo, l’arène de combat de nos valeureux sumos. C’est une plateforme carrée faite d’argile tassée recouverte d’un peu de sable, surélevée d’une cinquantaine de centimètres par rapport au niveau du sol. Des ballots de paille encastrés dans la plateforme servent à former des marches pour monter sur le dohyo, et y délimitent un cercle de 4,55 mètres de diamètre qui constitue l’aire de combat.
Lors d’un combat et du cérémonial qui le précède, on ne trouve sur le dohyo que les deux lutteurs et l’arbitre (le gyoji). Autour du dohyo, les quatre sumos qui vont participer aux deux combats suivants sont assis, à attendre. Avec eux, il y a les cinq juges, le gyoji qui prendra la relève, le présentateur (yobidashi) et quelques assistants dont le rôle va de balayer le dohyo, à plier les serviettes des lutteurs en passant par aider les juges à enfiler leur robe de délibération… Ça fait beaucoup de monde, mais le fait que le dohyo soit ainsi surélevé permet de bien voir les combats, et facilite aussi le travail des juges.
A noter, enfin, qu’il n’y a aucune femme. Le dohyo, lieu de combat des sumos, a un caractère sacré dans la religion shinto. Son accès est donc strictement interdit aux femmes, au risque qu’elles le souillent de leur sang…
Principe d’un combat de sumo
Les règles sont simples. Pour gagner, il suffit que l’adversaire touche le sol avec autre chose que ses pieds, ou qu’il sorte du dohyo. Pour cela, 87 prises sont autorisées. On n’a pas réussi à identifier lesquelles, mais par exemple, ils n’ont pas le droit de se tirer les cheveux.
Ici c’est donc le sumo qui est à l’intérieur du cercle qui a perdu, puisqu’il a touché le sol avec son épaule avant que l’autre ne sorte du cercle.
Les combats sont extrêmement rapides. Parfois, ils ne durent que quelques secondes. Par exemple quand un lutteur laisse, par une astucieuse feinte, son adversaire se vautrer au coup d’envoi, emporté par son élan. D’autre fois, ça dépasse la minute (wahou !) et il arrive que les deux sumos se reposent l’un sur l’autre pendant un moment avant de reprendre le combat.
En cas de situation litigieuse, quand par exemple un sumo est poussé hors du ring en même temps que son adversaire touche le sol, les juges se réunissent pour délibérer. Ils peuvent soit désigner un vainqueur, soit demander à rejouer le combat.
Lors des combats, les sumos ne portent sur eux que le mawashi, une longue bande de tissu serrée au niveau de leur large taille et de l’entre-jambe. Ça leur fait comme un énorme string, large et épais, qui laisse les fesses bien apparentes :)
Les cheveux sont également coiffés réglementairement. On n’est pas au foot ici !
Ils sont lissés avec de l’huile et maintenus par un chignon, qui prend la forme d’une feuille de ginkgo chez les lutteurs des divisions supérieures.
L’organisation d’une journée de Grand Sumo Tournament
Le sumo professionnel regroupe plusieurs centaines de lutteurs, répartis en 6 divisions. Sauf blessure ou forfait, tous participent au Grand Sumo Tournament, six fois par an.
Le matin, et jusqu’à 14h30 environ, ce sont les sumos des quatre divisions inférieures qui combattent. En bas du tableau il y a une telle densité que ces sumos ne combattent qu’un jour sur deux.
A 14h30, les 28 sumos de deuxième division (juryo) entrent en scène. Le cérémonial monte alors d’un cran. A la fin des 14 combats de deuxième division, c’est au tour des 42 sumos de première division (makuuchi) de combattre.
Au sommet du tableau on retrouve les Yokozunas. Ce rang très prestigieux est obtenu à vie. Mais si un Yokosuna n’obtient plus de résultats satisfaisant, il est tenu de prendre sa retraite par lui-même. Il n’y a pas de quota pour devenir Yokosuna, mais la sélection est très stricte. Et seuls trois sumos (Mongoles !) ont le titre suprême actuellement.
Et c’est ces trois champions que le public est venu acclamer. La salle est désormais comble pour les 21 derniers combats. L’intensité continue d’augmenter, tant dans les rituels que dans les combats et la frénésie du public. Jusqu’au clou du spectacle, le dernier combat, celui qui oppose le meilleur Yokosuna du moment à un outsider.
A la fin de ce dernier combat, on regarde nos montres, et il est 18 heures pile ! Et il paraît que c’est tous les jours comme ça. Incroyable précision et organisation japonaise, quand on sait combien la durée d’un combat peut être aléatoire !
Ainsi, en arrivant à 10h30, on a vu un paquet de combats. Peut-être 60 ou 70, on en a eu pour notre argent ! Surtout, les premiers combats nous ont donné le temps de nous familiariser avec les règles, le cérémonial, les rites, l’organisation. Ce qui nous a permis d’en profiter pleinement pour les 35 derniers combats, clairement les plus impressionnants.
Plein les mirettes !
Bien sûr, la première chose à laquelle on pense quand on parle de sumo, c’est leur énorme gabarit. C’est aussi une des premières choses qui nous a frappé dans cette journée. Il y a effectivement des lutteurs vraiment énormes ! Il paraît que les plus lourds dépasseraient les 250 kg, ce qui apparaît crédible quand on voit certains ! D’autres, au contraire, sont de taille bien plus raisonnable. Parfois petits, moins de 100 kg. Ca peut faire un sacré différentiel de taille sur un combat !
Mais ce ne sont pas les plus gros (ni les plus petits bien sûr) qui sont les meilleurs. Dans les catégories supérieures, la taille des lutteurs est bien plus homogène, autour de 190 cm pour 150-160 kg, pour garder une agilité suffisante. Et à bien les regarder, il n’y a pas que du gras !
Mais il n’y a pas que les sumos en eux-mêmes qui sont impressionnants. Tout le tournoi est fait de manière assez spectaculaire. Ainsi, l’entrée en scène des sumos de première et deuxième division suit tout un protocole haut en couleur. Chacun porte d’ailleurs une sorte de tablier très coloré à cette occasion. Les trois sumos les mieux classés s’adonnent même, chacun à la suite, à une magnifique représentation mélangeant force, souplesse, équilibre, voire même grâce. Oui, oui ! Ils ne sont pas champions pour rien !
Les arbitres et présentateurs jouent aussi un rôle important. Ainsi, les arbitres se distinguent par leur superbe tenue colorée, dont la forme et la couleur changent selon les arbitres et le moment de la journée. Et c’est avec grâce et élégance que ces arbitres, qui paraissent avoir un gabarit de jockey à côté des sumos, dirigent les combats titanesques.
Quant aux présentateurs, ils sont chargés d’annoncer les différents combats, le nom du sumo, son « écurie », son pays ou sa ville d’origine, et le résultat du combat. Mais tout cela, ils le font en chantant, et sans micro ! Ce qui ne nous empêche pas de les entendre parfaitement, même tout en haut de la tribune.
D’ailleurs, durant un tournoi, il n’y pas que les sumos qui sont classés. Les arbitres et présentateurs sont également jugés et classés suivant leurs prestations respectives.
Après cela, il ne reste plus qu’à admirer les sumos à l’œuvre. Plus on avance dans la journée, et donc vers les meilleurs lutteurs, plus les rituels qui précèdent le combat sont longs et complexes.
D’abord, ça lève très haut la jambe, le plus haut possible, avant de frapper le sol. C’est le shiko, un rituel visant à chasser les mauvais esprits.
Puis ça se tapote le corps, ou plutôt se frappe le corps dans un bruit violent, façon haka : les cuisses, les bras, la ceinture, le ventre, la tête, tout y passe. Une manière d’impressionner l’adversaire sans doute.
Et enfin pour les meilleurs, avant de se lancer pour de bon, quelques rites dits de pureté : boire puis recracher de l’eau « de force », et jeter des poignées de sel sur le dohyo. Tout ce cérémonial est répété plusieurs fois, ce qui peut prendre jusqu’à quatre minutes.
Et puis enfin vient un moment où les deux lutteurs sont enfin prêts sur leur ligne, accroupis. L’arbitre présente alors l’autre face de son éventail – car oui, on n’arbitre pas les sumos avec un sifflet, mais avec un éventail ! – et le combat peut démarrer.
Et lorsque les deux sumos ont posé leur deuxième poing au sol, c’est l’explosion de puissance ! Les deux mastodontes se projettent violemment l’un sur l’autre. Ce sont 300-350 kg de masse corporelle qui entrent en contact dans un grand claquement. Il faut dire que l’impact initial peut donner de bonnes chances de prendre l’avantage sur son adversaire.
Les deux lutteurs se saisissent ensuite là où ils peuvent, plus ou moins bien selon la réussite de leur entrée « en matière ». Et ça s’attrape, ça se donne des claques de partout, ça pousse, ça essaie de soulever l’adversaire, ça feinte… De vrais combats, intenses, à la fois beaux et intéressants à observer.
Quand il arrive que la lutte dure un peu, le suspense monte, le lutteur apparemment le mieux en place rencontre des difficultés à conclure, l’autre résiste brillamment, et soudain la situation – et un des sumos – se retourne très brusquement, sous les acclamations d’une foule qui monte vite en délire.
A la fin du combat, il y a souvent un vainqueur clair et net. Mais des fois, ça paraît plus difficile à cerner. Les deux sumos attendent le verdict, et l’arbitre désigne le vainqueur. Le présentateur chante son nom et la technique utilisée pour remporter le combat, que l’arbitre remplaçant aura pris soin de préciser. Le vaincu quitte immédiatement le dohyo en saluant son adversaire, tandis que le vainqueur se voit présenter l’éventail de l’arbitre, et repart un peu après. Tout cela se passe sans aucune contestation ni même le moindre signe de désapprobation. Car au sumo, l’état d’esprit doit toujours être irréprochable et exemplaire.
Vraiment, c’était un superbe spectacle, et on en a pris plein les yeux !